Dossier
Qu'est-ce que la beauté ?
Léa de Wouters par ©Julien Mignot
Source de privilèges quand on a la chance d’en être doté, de souffrances et de discriminations quand on en manque, la beauté physique est peut-être la première des inégalités. Tout au long de notre vie, elle joue un rôle décisif en amitié, en amour ou encore au travail. Pour réussir un entretien d’embauche, ne dit-on pas qu’il faut avoir « la tête de l’emploi » ? On commence enfin à reconnaître l’injustice foncière que constitue ce « privilège de beauté » dans une société se voulant démocratique ou méritocratique. Et des propositions abondent pour y mettre fin : en apprenant à remettre en question les canons esthétiques, en prenant conscience de leurs biais sexistes et racistes.
Progressivement, d’autres formes de beauté, plus inclusives, mais surtout plus naturelles et réalistes s’imposent. Le plus dur reste néanmoins à faire : réfréner notre tendance spontanée à croire que ce qui est beau est également bon ou authentique, et chercher la valeur d’une personne au-delà de son apparence. Et si on s’attaquait enfin à la beauté ?
Léa de Wouters par ©Julien Mignot
Les articles du dossier
La beauté, premier des privilèges
Avant de juger quelqu’un sur ses paroles ou ses compétences, nous lui prêtons une foule de qualités et de défauts en fonction de son apparence. Un réflexe en grande partie irrationnel et néfaste, mais comment s’en affranchir ?
Les bénéfices concrets de la beauté
Un meilleur salaire, plus de considération, davantage de partenaires amoureux et sexuels… Depuis les années 1980, de nombreuses études évaluent les avantages conférés par la beauté. Quelques exemples.
Les métamorphoses de la beauté
La manière de regarder le corps et de l’évaluer a beaucoup varié au fil du temps. En Occident, l’héritage de la Grèce antique, qui promeut le naturel au détriment de l’artifice, a fortement influencé nos imaginaires.
Féminin/masculin, les codes ont changé
La beauté est associée à des stéréotypes de genre : force pour les hommes, délicatesse pour les femmes. Mais ces normes sont de plus en plus contestées.
La beauté a-t-elle une couleur ?
Des débuts de l’esclavage à nos jours, beauté rime avec clarté de la peau. Des historiens retracent l’émergence de ce « colorisme »..
Miroir, mon beau miroir numérique...
Espaces d’échange et de valorisation de soi, les réseaux sociaux regorgent de corps minces, jeunes et musclés, ultranormés et hypersexualisés. De quoi provoquer une épidémie mondiale de complexes ?
La chirurgie esthétique, du tabou à la tendance
Liposuccions, augmentations mammaires et chirurgie du sexe féminin se banalisent. Comment l’expliquer ?
La revanche des « monstres »
Ils ont inspiré l’horreur, l’interrogation, mais aussi la curiosité et la bienveillance. Histoire d’une réhabilitation morale.
D'autres beautés existent
Dans notre imaginaire, les personnes grosses ou handicapées sont jugées malades, et donc inaptes à la beauté. Des stigmates difficiles à effacer.
Pour approfondir le sujet
Des classiques pour faire le tour du sujet
• Peu d’essais ont adopté un point de vue panoramique sur la beauté – à travers l’histoire, la sociologie, la psychologie… On vous recommande la monumentale Histoire de la beauté (Seuil, 2004) de Georges Vigarello pour comprendre comment les canons esthétiques ont évolué en fonction des changements politiques et sociaux. Pour une lecture plus « snacking », permettant de picorer des infos à travers des notions ou périodes clés, vous pouvez également consulter ces deux ouvrages collectifs : Abécédaire de la beauté (éd. B42, 2022) et 100 000 ans de beauté (Gallimard, 2009), dont une réédition est programmée à l’automne 2024.
• Jean-François Marmion (collaborateur régulier de Sciences Humaines) s’y est également attelé en dirigeant Psychologie des beaux et des moches (éd. Sciences Humaines, 2020). Cet ouvrage collectif prolonge les réflexions abordées dans notre dossier en interrogeant plus largement les effets de la beauté sur notre culture et sur notre vie quotidienne. Chaque chapitre est écrit par un ou plusieurs universitaires spécialistes du sujet, mais dans un style toujours accessible et vivant.
Des livres de débat et de combat
• Faut-il être beau pour réussir, notamment en politique ? Cette question un peu taboue est au cœur de Pouvoir et beauté (PUF, 2021), du spécialiste d’histoire contemporaine François Hourmant. Partant du constat que la prime à la beauté joue un rôle de plus en plus décisif, le chercheur s’interroge sur ce qu’elle révèle de nos régimes politiques, des fondements de la légitimité en démocratie, ou encore de la réalité des rapports de domination.
• Pour des approches tout aussi politiques mais plus spécifiques, on vous recommande notamment Beauté fatale (La Découverte, 2012), de l’essayiste Mona Chollet, sur la dimension sexiste des injonctions à la beauté ; Grossophobie (MSH, 2021), de la sociologue Solenne Carof, sur la discrimination des personnes en surpoids, ou encore De chair et de fer (La Découverte, 2022), de la philosophe Charlotte Puiseux, qui interroge, entre autres, l’exclusion du handicap de tout canon de beauté.
On aurait aimé vous en parler plus (mais on n’a pas eu la place)
• À quoi sert la magnifique queue des paons, inadaptée, voire franchement handicapante lorsqu’il s’agit de fuir un prédateur affamé ? À séduire, si on admet toutefois que ces animaux sont dotés d’une sensibilité esthétique, et que la sélection naturelle des individus les plus adaptés n’est pas la seule loi de l’évolution des espèces… Dans son Histoire naturelle de l’esthétique (CNRS, 2021), le philosophe italien Lorenzo Bartalesi propose un point riche et captivant sur ces interrogations qui hantaient déjà Charles Darwin.
• Des antiques Vénus aux idoles de la pop, comment le corps des femmes est-il devenu un emblème de la beauté éternelle ? Pourquoi la nudité est-elle encore aujourd’hui tout à la fois un symbole de libération et d’aliénation ? Dans Nudités féminines (Presses de l’université de Montréal, 2024), la chercheuse en littérature et en études de genre Laurence Pelletier explore ces questions à travers une sélection d’œuvres philosophiques et artistiques, puisant aussi bien chez Marguerite Duras que David Lynch.
C’est en anglais, mais ça vaut le détour
• On a toutes et tous rêvé de ressembler à des stars de cinéma, à des mannequins ou encore à des vedettes des réseaux sociaux, et c’est un problème. Maquillées, enjolivées, aujourd’hui retouchées à grand renfort d’intelligence artificielle, ces modèles déconnectés de la réalité saturent nos écrans et nous rendent trop exigeants avec nos propres corps. Dans Perfect Me. Beauty as an ethical ideal (Princeton University Press, 2018), la philosophe Heather Widows s’attaque aux clichés et stéréotypes qui nous rendent la vie dure, mais nous donne aussi des clés pour nous en libérer. Sur le même thème, mais dans un genre plus journalistique, on vous recommande également Ugly. Giving us back our beauty standards (BlinkPublishing, 2023), de l’essayiste Anita Bhagwandas.
• Dans un tout autre genre, la sociologue Chiara Piazzesi a publié un essai remarquable sur l’histoire du positionnement féministe concernant la beauté : Beauty Paradox. Femininity in the age of selfies (Rowman & Littlefield Publishers, 2023). Elle y explore les injonctions contradictoires auxquelles sont soumises les femmes en matière de beauté, et les propositions politiques ayant pu naître de ces expériences.
À écouter en podcast
• D’après une étude de 2016, initiée par le Défenseur des droits, une personne sur deux estime acceptable de ne pas embaucher une personne en raison de son manque d’attractivité physique. Comment expliquer une telle iniquité, dans une société se voulant démocratique, voire méritocratique ? Quel est plus généralement le pouvoir réel de la beauté ? Dans une émission accessible gratuitement en ligne, « La beauté physique est-elle un capital comme les autres ? » (2022)., France Culture réunit trois spécialistes pour débattre de ces questions brûlantes : le sociologue Jean-François Amadieu, l’économiste Guillaume Vallet et la philosophe Clotilde Leguil.
• Toujours sur France Culture, l’émission La Fabrique de l’histoire a consacré quatre épisodes passionnants à « L’histoire de la beauté » (2011). Au menu : l’apparition des parfums, du maquillage, la création du métier d’esthéticienne, et l’évolution des canons esthétiques.
À voir en vidéo
• Voudriez-vous voir en mouvement les top models de l’Antiquité, les Timothée Chalamet de la Chine médiévale et les Zendaya de la Venise renaissante ? Si vous avez aimé notre article sur l’histoire des canons de beauté, on vous recommande aussi deux vidéos réalisées par le site BuzzFeed : Women’s Ideal Body Types Throughout History (27 janvier 2015) et Men’s Standards of Beauty Around the World (19 mars 2015). Ce n’est qu’une proposition de reconstitution, mais elle est relativement crédible et surtout vivante. Sur le site de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina), vous pouvez aussi retrouver un documentaire passionnant sur L’Évolution des canons de beauté (16 août 1979).