« Le manque de sens historique est le péché originel de tous les philosophes », écrivait Nietzsche. Michel Foucault saura retenir la leçon. Dans sa leçon inaugurale au Collège de France, il recense les contraintes qui pèsent sur le discours lui-même. Parmi les limitations qui s’exercent de l’intérieur, il relève les disciplines qui rangent et classent le savoir.
Une archéologie du savoir
De fait, son œuvre ne cesse de « déborder » toujours la philosophie. En tout premier lieu par son souci de l’histoire – pas seulement de l’histoire du passé, mais aussi de l’histoire en train de se faire. Ce souci historique est présent dès sa thèse de philosophie sur la folie : Foucault, s’il commente Descartes, passe beaucoup plus de temps à lire divers traités, à multiplier ses sources, à se plonger dans les archives, à faire appel à des textes littéraires… C’est d’ailleurs l’historien Philippe Ariès qui défend le manuscrit et le fait paraître en 1961 sous le titre Histoire de la folie à l’âge classique. Il montre que la folie n’est pas une essence éternelle. Elle est d’abord le fruit d’une perception sociale qui s’inscrit dans l’histoire.
Ce fil historique, Foucault ne le lâchera pas. En 1963, il publie Naissance de la clinique où il se penche sur la réorganisation que connaît la médecine au tournant des XVIIIe-XIXe siècles au moment où se fait jour la nécessité de disséquer les cadavres et où donc la perception de la vie et de la mort, du visible et de l’invisible se voit profondément modifiée. Les Mots et les Choses (1966), sous-titré Une archéologie des sciences humaines, montre que les savoirs se développent toujours dans une épistémè, c’est-à-dire dans les cadres généraux de la pensée propres à une époque. Car Foucault refuse l’idée que le savoir connaît un développement continu. Si, jusqu’à la fin du XVIe siècle, l’étude du monde repose sur la ressemblance et l’interprétation, un renversement se produit au milieu du XVIIe siècle : une nouvelle épistémè apparaît, reposant sur la représentation et l’ordre, où le langage occupe une place privilégiée. Mais cet ordre va lui-même être balayé au début du XIXe siècle par une autre épistémè, placée sous le signe de l’histoire qui voit apparaître pour la première fois la figure de l’homme dans le champ du savoir. Mais pour combien de temps ?