Et si les pires ennemis de la psychanalyse étaient… les psychanalystes ? Du moins, ceux qui la discréditent en prétendant la défendre, tout en se coupant du grand public et en alimentant des rivalités internes fratricides ? Telle est la thèse de Sébastien Dupont, maître de conférence en psychologie à l’université de Strasbourg et auteur de L’autodestruction du mouvement psychanalytique (Gallimard, 2014).
Pour éviter toute ambiguïté, commençons par préciser, comme vous le faites vous-même au début du livre, que vous êtes favorable à la psychanalyse.
Tout à fait : j’ai une formation psychanalytique, ma thèse est d’orientation psychanalytique, ma pratique de psychologue est inspirée par la psychanalyse. Pourtant, assez régulièrement, quand j’ai l’occasion de faire part de mes analyses de l’évolution du mouvement psychanalytique, des psychanalystes me cataloguent comme un adversaire : « Mais alors, vous êtes un nouveau Michel Onfray ? Vous faites le jeu de nos ennemis ! Vous réglez des comptes personnels sans le savoir, c’est transférentiel… » Dès que l’on émet une critique, on tombe sous le joug d’une sorte de chantage à l’antifreudisme. Certains, y compris des amis psychanalystes abondant plutôt dans mon sens, ont voulu me dissuader de publier mon livre. On ne peut plus dire grand-chose dans les milieux psychanalytiques… La psychanalyse serait-elle devenue en sucre, comme une petite enfant fragile et capricieuse ?
Vous écrivez que la psychanalyse a toujours été attaquée, mais pas de la même façon qu’aujourd’hui. Qu’est-ce qui a changé ? Que lui reproche-t-on qu’on ne lui reprochait pas autrefois ?
On s’autorise à lui reprocher davantage de choses, parce qu’elle a perdu de son autorité, de son aura. Dans une période de démocratisation des psychothérapies où les associations de malades et de familles de patients s’autorisent de nombreuses critiques, on la pousse dans ses retranchements. Or, nombre de psychanalystes n’ont pas réalisé qu’ils n’occupaient plus une position indiscutée. Certains continuent de balayer les critiques d’un revers de main (« Vous n’avez rien compris, la psychanalyse c’est autre chose… ») et s’enferment dans une posture identitaire : « Si la société ne nous comprend pas, c’est la faute au néolibéralisme, c’est la dégénérescence de la subjectivité, de l’humain, mais nous, nous sommes le dernier bastion du Sujet… » Ce faisant, certains coupent les ponts entre la communauté psychanalytique et le grand public, que Freud, qui avait conscience des enjeux de communication, avait toujours voulu maintenir avec ses conférences pédagogiques ou la création de l’Association psychanalytique internationale. Au fond, le mouvement psychanalytique intéresse moins. Il ne nous éclaire plus sur nous-mêmes comme savaient le faire Freud ou Dolto.
Selon vous, la psychanalyse française souffrirait moins d’être attaquée que de mal se défendre et pire, de se saborder ! Vous pensez que Michel Onfray et consorts accélèrent son affaiblissement, en tout cas l’accompagnent, mais ne le génèrent pas ?