Avant d’en venir à la polémique qu’il a suscitée, expliquez-nous pourquoi et comment vous avez conçu ce documentaire ?
Je voulais être psychanalyste, avant de m’orienter vers l’audiovisuel. Je suis fondamentalement en accord avec la démarche psychanalytique (aller voir quelqu'un pour déposer son fardeau existentiel), qui me fascine depuis de longues années : je me définis comme une anthropologue de la psychanalyse, en amateur, mais ayant accumulé pas mal de connaissances. Sachant qu’il y a une différence énorme entre son image dans le grand public et sa réalité lorsqu’elle est exprimée entre initiés, j’avais envie d’en faire un état des lieux accessible à tous. Je suis donc en contact avec Arte depuis plus d’un an pour une série de six documentaires. L’idée était de faire un voyage dans la théorie psychanalytique, fondamentalement la théorie sexuelle, qui distingue la psychanalyse des autres théories. Je ne voulais pas dresser un monument historique à la psychanalyse, mais voir ce qu’elle avait de vivant aujourd’hui. J’ai rencontré une quarantaine de psychanalystes, j’en ai filmé 27 pendant deux à trois heures chacun, ce qui a donné 60 heures de rushes. Je voulais qu’ils parlent franchement, en assumant les points de vue politiquement incorrects du discours psychanalytique. Ils ont joué le jeu, ont accepté de s’exprimer avec sincérité, et je leur en suis reconnaissante. Nos entretiens étaient très riches.
Puisque vous avez projeté toute une série de documentaires, pourquoi avoir choisi de terminer en premier celui qui porte sur l’autisme, sujet explosif ?
C’est vraiment un hasard, pas de l’opportunisme. Je ne voulais pas travailler spécifiquement sur l’autisme, mais il est considéré comme la pire des psychoses pour la psychanalyse, ce qui est vraiment une spécificité française puisque le reste du monde le définit depuis 30 ans comme un trouble neurologique, et qu’à l’étranger les patients sont diagnostiqués très tôt et pris en charge non pas en psychiatrie, mais avec des méthodes comportementales et éducatives adaptées. Il m’a paru intéressant d’extraire ce sujet pour lui consacrer un volet à part entière.
Ce film ne serait donc pas une entreprise délibérée de démolition, en tout cas de déstabilisation, de la psychanalyse ?
Je ne pense pas du tout avoir fait une entreprise de déstabilisation : c’est la psychanalyse qui se déstabilise toute seule. Si mon film est polémique, c’est à cause du discours des psychanalystes en lui-même. Ils étaient très à l’aise, très heureux d’être filmés. Mais je pense qu’ils ne se rendent pas compte de la portée de leurs propos. J’étais vraiment stupéfaite. Je pensais faire un travail beaucoup plus nuancé, or je ne me serais jamais attendue à entendre ce que j’ai entendu de la part de l’immense majorité d’entre eux. Je n’aurais pas imaginé des propos aussi haineux à l’égard de la science, par exemple, ni aussi viscéralement sexistes. Je ne pense pas qu’il existe un quelconque contexte dans lequel affirmer que l’enfant est le substitut du phallus maternel, aliéné au désir de sa mère, est un propos acceptable. J’ai recherché des psychanalystes capables de me tenir un discours différent : j’ai eu du mal à en trouver, et les personnes en question ont refusé de critiquer les positions extrémistes de leurs collègues devant la caméra.