« Le débat n’est pas historique, il est politique ! », s’exclame Jean-Paul Guibal, député UMP des Alpes-Maritimes, le 29 novembre 2005. Compte tenu du lieu, du moment et du sujet sur lequel il s’exprime, c’est une évidence : ce jour-là, l’Assemblée nationale remet sur le métier la loi votée le 23 février précédent portant reconnaissance et injonction d’enseigner le « rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Adoptée discrètement, elle a, peu après sa publication, soulevé le scandale : pétitions d’historiens, marches publiques de collectifs d’immigrés et protestations du chef de l’État algérien. Tout finira par une promesse d’abrogation en décembre.
Entre-temps, l’année 2005 aura été celle d’une guerre des mémoires autour du « fait colonial ». Or si l’aspect public de cette polémique s’appuie, selon Romain Bertrand, sur les ressorts routiniers du jeu politique (certaines associations de rapatriés d’un côté, et des collectifs d’immigrés de l’autre), l’intervention parfois vive des historiens dans les débats mérite d’être expliquée.
Le colonialisme français, un moment d’égarement…
De 1990 au début des années 2000, la production de travaux sur la traite négrière, l’esclavage et l’histoire coloniale de la France a été croissante, mais assez discrète. Soucieux d’archives et de données locales, ces travaux ont creusé une histoire africaine ou asiatique complexe, où les élites colonisées sont compromises et où la métropole ne parle pas d’une seule voix. Dans le débat ancien qui pèse sur le fait colonial (le dosage du bien et du mal), l’Occident n’en sort pas forcément plus coupable qu’avant. Eu égard à ses intentions civilisatrices, le colonialisme français du XIXe siècle peut passer pour un égarement, un dévoiement des idéaux de la Révolution, où les colonisés, ou bien encore d’autres acteurs non occidentaux, ont pu avoir leur part. Ainsi, Le Livre noir du colonialisme (dirigé par Marc Ferro, Robert Laffont, 2003) dénonce sans appel le processus, mais prend soin de distinguer colonisation et colonialisme, évoque une opinion française hostile à l’aventure, et n’omet pas de cibler quelques bourreaux non occidentaux, arabes et japonais. Le crime est constitué, mais la colonisation reste une histoire, avec ses moments de brutalité et d’autres qui le sont moins. En poursuivre l’étude n’exclut pas de se pencher sur la mémoire des victimes, mais avec le maximum d’objectivité, et sans excès de repentir, puisqu’au fond il s’agit d’un fait révolu.