Les violences éducatives, d'hier à aujourd'hui

En 2019, la France est devenue le 56e pays à interdire les violences éducatives, aboutissement d’une lente évolution du regard social sur l’enfant.

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C’est une victoire à laquelle les militants ne croyaient plus : près de dix ans après la première proposition de loi « antifessée » de la pédiatre et députée Edwige Antier, le Code civil entérine le 10 juillet 2019 le principe selon lequel « l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques ». Il aura fallu une condamnation de la France par le Conseil de l’Europe en 2015 et plus de trois ans de tractations parlementaires pour que cette loi fût adoptée. Sa formulation n’entend pas seulement condamner les violences faites à l’enfant, déjà réprimées de longue date par le Code pénal, mais aussi reconnaître le caractère inacceptable de pratiques socialement perçues comme des gestes éducatifs ordinaires.

Cet objectif mobilise depuis une vingtaine d’années les militants de la « non-violence éducative », à qui on doit l’introduction du concept. « On parle depuis longtemps de châtiment, de punition, de correction, mais le terme de “violences éducatives”, est très récent, retrace le psychiatre et anthropologue Daniel Delanoë. Surtout utilisé en France, il apparaît sous la plume d’Olivier Maurel, cofondateur en 2005 de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire (Oveo), qui l’a popularisé par le biais de ses ouvrages 1. »

Une mobilisation d’ampleur que confirme Nicolas Rafin, maître de conférences en sociologie à l’université de Nantes et coauteur d’un rapport de recherche sur les enjeux sociaux et juridiques de l’interdiction des violences éducatives 2 : « Les acteurs associatifs ont fait un intense travail de diffusion auprès des députés et des institutions administratives et judiciaires de protection de l’enfance, pour les sensibiliser à cette cause. » Malgré son origine militante, nombreux sont les chercheurs à saluer l’intérêt du concept. « Distinguer les violences éducatives des maltraitances a permis de mettre en lumière la dimension systémique des premières, explique Camille Roelens, philosophe de l’éducation et auteur d’un Manuel de l’autorité (Chronique sociale, 2021). Il ne s’agit pas de parents défaillants en proie à leurs pulsions, mais d’une norme sociale très ancrée où la violence est vue comme un moyen nécessaire au service d’une fin légitime qu’est l’éducation des enfants. »

Premières condamnations

Faut-il en conclure que la pratique des violences éducatives se transmettrait depuis des générations ? Oui, répond D. Delanoë, qui souligne la quasi universalité du recours aux sanctions physiques envers les enfants dans les sociétés humaines. « Les rares à ne pas en user sont des sociétés de chasseurs-cueilleurs peu hiérarchisées, réprouvant la violence interindividuelle et la domination masculine. » Dans Les Châtiments corporels de l’enfant (Érès, 2017), le médecin salue néanmoins une tendance générale au reflux. « Les sociétés postindustrielles ont besoin d’individus autonomes, coopératifs et négociateurs, autant de compétences qu’on ne développe pas sous les coups. »