L'Individu au Moyen Âge. Individuation et individualisation avant la modernité

Brigitte Miriam Bedos-Rezak et Dominique Iogna-Prat (dir.), Aubier, 2005, 384 p., 28 €.

Dans son essai sur la Renaissance en Italie (1860), l'historien Jacob Burckhardt prétendait que « l'homme [du Moyen Age] ne se connaissait que comme race, peuple, parti, corporation, famille, ou sous toute autre forme générale et collective ». Autant dire qu'il n'y avait, au Moyen Age, point d'individu au sens moderne du terme. Fidèles à cette image d'un Moyen Age faisant peser une chape de plomb sur toute expression d'une quelconque individualité, nombre d'historiens ? dont la plupart des contributeurs à cet ouvrage érudit ? considèrent que ce n'est qu'avec la Renaissance, vers le XVe-XVIe siècle, voire un peu avant, que l'on assiste véritablement à l'avènement du sujet autonome. Tout le pari de ce livre stimulant est toutefois d'analyser les marqueurs de l'identité personnelle (par exemple, la signature ou le portrait) et les modes de l'individualisation (par exemple, le « je » des poètes) à cette époque censée être dénuée d'individualisme. Des différentes contributions, il ressort que les contraintes stylistiques qui président à l'élaboration des sceaux, des armoiries ou des signatures sont tellement fortes qu'elles ne laissent guère l'occasion à l'individu de s'affirmer. Même l'apparition des noms, ou surnoms, dès le XIe siècle, ne permettrait pas vraiment de distinguer l'individu de son appartenance à un lieu d'origine, un clan, ou un métier. Quant au style des œuvres littéraires, il serait tendu vers l'imitation de formes préexistantes et non vers l'invention, caractéristique de l'affirmation d'un « moi », etc. Cela est-il suffisant pour considérer qu'au Moyen Age, l'individu est incapable de se démarquer du groupe qui le définit ? C'est ce qui est ici globalement affirmé, à une exception près. Il est rappelé que le déviant ou l'hérétique voyait son nom distingué ; ce qui implique que « si les croyances orthodoxes sont collectives, l'erreur ne saurait être qu'individuelle ». Du coup, on en vient à se s'interroger sur l'existence de petites déviances inaperçues des historiens et à se demander si l'image d'un Moyen Age sans individualisme ne serait pas le résultat d'un effet de perspective.