Peu de chefs d’État européens auront autant influencé l’histoire du Vieux Continent que Napoléon Bonaparte. Arrivé au pouvoir en pleine période de transition sociopolitique, il échafaude, en quelques années, un nouvel ordre européen, fondé sur le modèle révolutionnaire français. Pourquoi Napoléon a-t-il voulu réformer et réorganiser l’Europe ? Pour, du moins l’affirmait-il dans le préambule de l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire, en date du 22 avril 1815, « organiser un grand système fédératif européen (…) conforme à l’esprit du siècle, et favorable aux progrès de la civilisation ». La réalité, sur le terrain et au cœur de l’action, était évidemment plus complexe. La création d’une Europe révolutionnaire répondait à des objectifs stratégiques allant dans le sens des intérêts de la France…
De l’ouragan révolutionnaire…
Lorsque Napoléon s’empare du pouvoir en novembre 1799, la France est déjà en guerre contre une bonne partie de l’Europe depuis sept ans. Soucieux de protéger une Révolution balbutiante, les députés français ont déclaré la guerre à l’empereur d’Autriche le 20 avril 1792, le soupçonnant de vouloir briser l’élan révolutionnaire pour limiter tout risque de contagion. L’Assemblée nationale entend alors mener une véritable mission civilisatrice (et avantageuse) à travers l’Europe et le monde. « Si votre humanité souffre à décréter la mort de plusieurs milliers d’hommes, explique le député Jean-Baptiste Mailhe, songez aussi qu’en même temps, vous décrétez la liberté du monde. » Personne ne se doute alors que la France entre dans une série de conflits qui ne prendront fin qu’en 1815…, à Waterloo. Ces vingt-trois années vont à jamais transformer le visage de l’Europe.
Le déclenchement des guerres de la Révolution a d’énormes conséquences immédiates. Sur le plan intérieur, elles entraînent la chute de Louis XVI (août 1792), la proclamation de la République (septembre 1792) et la radicalisation du processus révolutionnaire. Sur le plan extérieur, elles bouleversent les codes géopolitiques hérités du XVIIIe siècle. Les vieilles alliances dynastiques volent en éclats ; il n’y a plus que l’ouragan révolutionnaire français face à la coalition des grandes monarchies européennes. L’Autriche, puis la Prusse, la Russie, le Royaume-Uni… craignent que l’influence de la nouvelle France, une république (!), déséquilibre l’ordre établi sur le continent. Et pour cause, les armées de la République française ne tardent pas à envahir les territoires limitrophes.
La politique d’expansion révolutionnaire pose les bases d’un nouveau système politique européen piloté par la France. Les petites monarchies voisines et hostiles sont détruites puis, avec le soutien des mouvements révolutionnaires locaux, transformées en régimes républicains amicaux et redevables : les Républiques sœurs. Cette politique française, typique du Directoire, a pour but de constituer un réseau d’alliances fondé sur une adhésion commune aux principes de la Révolution française et à son modèle sociopolitique. C’est ainsi qu’est créée la République batave en 1795 (grosso modo les Pays-Bas actuels), ou encore la République cisalpine, dans le Nord de l’Italie, en 1797. Loin d’être parfaitement indépendantes, ces Républiques sœurs deviennent en réalité des États satellites de la République française. Une fois au pouvoir, Napoléon reprend cette stratégie à son compte.