« Tu pourrais attraper la seringue et faire une piqûre à la poupée ? Sur le ventre, c’est très bien. » Sur la vidéo 1, une dresseuse s’adresse à un bonobo qui s’exécute. Il continue lorsqu’on lui demande : « Tu peux prendre les oignons et les mettre dans le chapeau de lapin ? » Et s’il ne répond pas « oui » ou « avec plaisir », ce n’est pas faute d’en avoir la capacité anatomique. Une équipe scientifique a réussi à faire dire « Will you marry me ? » 2 à un macaque. Que nos ancêtres les primates aient de mêmes compétences anatomiques que nous (encadré ci-dessous), passe encore. Mais peut-on en dire autant d’autres animaux plus éloignés de nous dans l’arbre généalogique ? Paradoxalement, un chien dispose d’un appareil phonatoire dont le fonctionnement est proche du nôtre : grâce à ses cordes vocales, situées à la base d’un conduit qui va jusqu’aux lèvres, on le sait capable de produire des mots bisyllabiques comme « maman » ou « mama ». Mais il fait beaucoup mieux. Des personnes s’essayent sur Internet à faire parler leur animal de compagnie et obtiennent des résultats inattendus : « Mishka est un chien connu qui tente de reproduire la phrase “I love you”. C’est impressionnant de voir à quel point il parvient à contrôler ses articulateurs et ses cordes vocales dans ce type d’exercice. Il y en a un autre qui réussit à prononcer approximativement “You want it”. Si l’on écoute la consigne de la maîtresse, on trouve beaucoup de similitudes ! », souligne Thierry Legou, membre du laboratoire Parole et langage de l’université d’Aix-Marseille. Plus mystérieux encore, certains animaux parviennent à émettre des sons intelligibles pour communiquer avec nous, en dépit d’un appareil phonatoire sans commune mesure avec le nôtre. C’est ce que font les perroquets amazones et les mainates, qui n’ont pas leur pareil pour nous imiter, mais on a aussi eu vent du cas exceptionnel d’un éléphant né dans un zoo de Corée du Sud. Baptisé Koshik, il a appris tout seul à prononcer cinq mots de coréen en enfonçant sa trompe dans sa bouche.
Le cerveau n’explique pas tout
Si l’énigme du langage ne réside pas dans l’anatomie, c’est donc que l’explication est ailleurs. Dans le cerveau ? « La limitation est sans doute neurologique », acquiesce T. Legou. Pour tenir une conversation, il faut mobiliser au moins deux compétences. Primo, comprendre le message oral envoyé par son interlocuteur. Secundo, construire des phrases si possible complexes. En ce qui concerne le premier aspect, il existe relativement peu de différences entre l’homme et le primate. Selon Pascal Belin, professeur de neurosciences à l’université d’Aix-Marseille, les zones activées par la voix d'un congénère, qui traitent l'information qu'elle contient, sont relativement similaires chez le macaque, d'après des expériences récentes utilisant l'IRM fonctionnelle pour mesurer l'activité cérébrale de manière non invasive chez des humains et des singes. « On a découvert que cet animal était doté des mêmes aires de la voix, spécialisées dans l’extraction de l’information. Il y a une similarité plus grande que ce qu’on pensait », affirme P. Belin. Quant à la capacité de produire des énoncés, les différences sont plus subtiles à identifier qu’on l’imagine, dans la mesure où les primates non humains disposent comme nous de l’aire de Broca, impliquée dans la production de la parole. « On devrait pouvoir trouver des différences dans les structures neurales, pondère cependant le chercheur. Il semblerait que les singes ne soient pas capables de combiner les mots de façon aussi poussée que les humains pour faire des phrases emboîtées, peut-être à cause d’une différence dans le lobe frontal, au niveau de l’aire de Broca, qui serait moins développée que chez l’humain », précise-t-il.