Quand le psy disparaît... ou Faire face à la mort de son psy

Quel étrange sujet que celui de la mort de son psy ! D’ailleurs, il n’existe presque aucun écrit sur ce thème. Le psy ne meurt-il pas ? Lorsque c’est le cas, les patients sont envahis par des sentiments ambivalents qui les maintiennent dans un désarroi souterrain. Comment le surmontent-ils ? Qu'advient-il de la thérapie brutalement stoppée ? Enquête au pays d’un deuil pas comme les autres…

Félicie, 38 ans, se souvient de sa stupeur quand elle avait croisé sa psy faisant son marché : « Je ne l’avais jamais imaginée comme un être humain qui fasse des courses ou se nourrisse. Elle était un être à part, presque divin, qui avait réponse à tout… Alors qu’elle puisse mourir, cela ne m’avait jamais effleurée ! » Sa psy est morte brutalement l’année dernière, à 49 ans. « C’était un vendredi, 14h, ma séance. Sur la porte, un mot punaisé, qui annonçait l’impensable. Ecrit par son mari. Mes oreilles bourdonnaient, je voyais des points noirs partout. J’ai attendu d’être dans ma voiture pour hurler. Je me suis immédiatement perçue orpheline. Elle m’avait abandonnée. Sans elle, j’étais perdue », poursuit Félicie. La jeune femme a du mal à s’en remettre. Elle garde sa photo dans son portefeuille et refuse d’aller voir un autre thérapeute. On retrouve ce manque d’élaboration psychique chez tous les sujets interrogés. Tous avaient un jour fantasmé la mort de leur parent, enfant, ami, conjoint, mais pas celle de leur psy. Pourquoi ?

Quid de la thérapie ?

Qu’advient-il de la thérapie, quand elle s’arrête brutalement à cause de la mort du thérapeute ? « Tout dépend de là où elle en était », répond Evelyne Bissone Jeufroy, coach et psychologue (1). Les personnes qui se trouvaient en fin de travail pourront se sentir suffisamment fortes et armées pour continuer seules leur route. C’est le cas de Marine : « Ma thérapie touchait à sa fin mais je continuais à voir ma psy tous les mois, pour faire un point qui me faisait du bien. Depuis sa disparition brutale l’année dernière, je me demande souvent ce qu’elle penserait de telle ou telle situation, mais je m’en sors bien toute seule. Tout ce qu’elle m’a apporté est en moi. Elle m’a lâché la main quand elle est morte… Mais je me rends compte aujourd’hui que je n’avais plus besoin qu’on me la tienne », explique cette praticienne shiatsu. Mais cette confiance est venue au fil des mois, après avoir traversé une période difficile.

« Quand on perd son psy, il y a un sentiment d’abandon très fort. On peut alors assister à une attitude régressive du patient. L’abandon que nous avons vécu enfant se réactive », explique Christophe Fauré (2), psychiatre et psychothérapeute, spécialiste du deuil. C’est ainsi que certains patients ont le sentiment que tout le bénéfice effectué en thérapie est perdu, qu’ils régressent. Estelle voyait un psychanalyste depuis quelques mois pour des problèmes de jalousie amoureuse. Il y a deux ans, sa cure s’est arrêtée net à cause du décès de son psy. « Il m’avait aidée à avoir davantage confiance en moi et en mon conjoint. Depuis sa mort, je suis retombée au point zéro ! J’ai le sentiment d’être comme un pull qu’on tricote puis détricote : il avait pris forme, il redevient pelote… » Ce sentiment d’abandon peut aller jusqu’à une dépression anaclitique, qui renvoie aux ressentis du nourrisson face à ses angoisses d’abandon. Pour le Dr Fauré, « La mort du psy peut également être vécue comme une rupture de contrat ». Le patient paie chaque semaine, en échange de quoi il allège son fardeau, récupéré par ce professionnel qui semble inébranlable. Et brutalement, ce fardeau lui revient en pleine figure.