Quand notre monde est devenu chrétien (312-394) Paul Veyne

Quand notre monde est devenu chrétien (312-394) Paul Veyne

C’est un moment décisif que celui de la conversion de Constantin, premier des empereurs de Rome à embrasser la foi chrétienne, en l’an 312. Bien sûr, il y a la légende : celle d’une victoire obtenue grâce à l’aide du dieu des chrétiens. Paul Veyne, faisant le récit de ce moment charnière, n’écarte pas le mythe : il était important pour un empereur que son dieu fût plus fort que celui des autres. Mais sa foi existait avant, comme chez 10 % environ des sujets de l’Empire. Car le christianisme était devenu « la question brûlante du siècle ». Premier à « parler d’amour », le christianisme était aussi une morale et une philosophie mise à la portée de tous. Ses adversaires l’accusaient d’être une mode apatride, une religion de pauvres et d’esclaves. Ce qui fut vrai au début, mais était déjà faux au temps de Constantin : le christianisme incarnait alors une contre-société urbaine plutôt chic. L’empereur s’est-il converti pour se concilier une Église déjà bien organisée ? P. Veyne ne le croit pas. Le calcul aurait été mauvais : 90 % des citoyens – et à leur tête les sénateurs – étaient païens ou adhéraient à d’autres religions minoritaires. Sa conversion, écrit P. Veyne, « a été un caprice personnel ». Pour autant, l’empereur n’imposa nullement sa religion à son peuple : sa foi restait une affaire privée, et il exigea seulement de supprimer les sacrifices animaux dans les rites impériaux. Cinquante ans plus tard, d’ailleurs, son neveu Julien accéda au pouvoir, et défendit le paganisme ancien de la même manière, sans en faire une obligation. Est-ce cela qui fait écrire à P. Veyne que, contrairement à une conviction répandue, ce n’est pas le christianisme mais César qui a inventé la séparation des pouvoirs religieux et politique ? Question épineuse, derrière laquelle se profile un débat de mémoires : l’Occident est-il devenu lui-même parce que chrétien ? Là-dessus, les réflexions de P. Veyne ont la retenue savoureuse mais incisive de son écriture. Ainsi, inutile de se gargariser des racines chrétiennes de l’Europe car, en histoire, les racines n’existent pas. L’humanisme n’est pas l’héritage déguisé du christianisme miséricordieux, qui d’ailleurs parla plus souvent d’amour qu’il le pratiqua. « L’initiative et le gros du travail sont dus aux Lumières », et aujourd’hui, c’est plus l’Europe qui inspire le christianisme que l’inverse. Même si il faut admettre que sa christianisation aménagea un terrain intellectuel favorable à l’égalitarisme moderne.