Amérique latine : la vague pentecôtiste

Le pentecôtisme, expression populaire du protestantisme, connaît un immense succès en Amérique latine. Il constitue un défi pour l'Église catholique, mais également pour les États. Depuis quelques années, son influence s'exerce jusque sur le terrain politique.

Des dizaines de mouvements religieux prolifèrent aujourd'hui dans tous les pays de la région latino-américaine. Ces mouvements, pour la plupart issus de traditions protestantes, entraînent une dérégulation sans précédent du champ religieux, après cinq siècles de monopole catholique. Leur forte croissance au cours des dernières décennies les a fait passer au premier plan. Ils commencent à défier l'hégémonie de l'Eglise catholique. Leur influence s'exerce jusque sur le terrain politique : des partis se sont constitués sur une base confessionnelle. Le phénomène a pris une telle ampleur qu'il est devenu impératif d'en comprendre les effets sociaux et politiques.

Enraciné depuis le dernier tiers du xixe siècle, le protestantisme latino-américain a pris, aujourd'hui, la forme dominante du pentecôtisme. Né en 1906 dans les banlieues de Los Angeles, le pentecôtisme est une expression populaire du christianisme fondée sur une lecture littérale de la Bible, avec de fortes tonalités millénaristes 1. Ce qui fait son originalité est moins sa théologie, très rudimentaire, que sa capacité à s'adapter aux mentalités populaires en intégrant des éléments des cultes locaux. Traditions chamaniques, pratiques thaumaturgiques, exorcismes... Autant d'apports fort étrangers à la culture chrétienne qui, réunis, ont permis au pentecôtisme de séduire des millions d'hommes et de femmes sur l'ensemble du continent latino-américain.

Les premières Eglises pentecôtistes sont apparues au Chili, au Brésil et au Mexique au début du xxe siècle. L'expansion s'est accélérée à partir des années 50 quand de nouvelles organisations autochtones ont vu le jour dans les poches de pauvreté formées à la périphérie des mégapoles. Une troisième phase est en cours depuis les années 80 avec la croissance de vastes organisations capables de maîtriser à la fois les codes populaires du sacré et les moyens les plus modernes de communication, en particulier la télévision, leur assurant une audience nationale, voire internationale. L'Eglise universelle du royaume de Dieu, au Brésil, est représentative de ce nouveau souffle qu'a connu le pentecôtisme au cours des deux dernières décennies. Mais il ne s'agit que de la version hypertrophiée d'un phénomène intégrant des centaines de microentreprises religieuses, qui mobilisent déjà de 5 à 20 % de la population, selon les pays. La nouveauté religieuse, en Amérique latine, se manifeste à la fois sur le mode de l'effervescence et de la diversité.

Le pentecôtisme se déploie avant tout dans les régions rurales déprimées et aux périphéries des « villes de paysans » (nées de l'exode rural), où se retrouve une même population. Religion des pauvres, le pentecôtisme touche cependant de plus en plus certaines fractions de la classe moyenne. Un triple impact peut être souligné : sur les populations indiennes, sur le catholicisme et sur l'espace public.

publicité

L'ethnicité redéfinie

Le pentecôtisme a connu un succès spectaculaire auprès des populations rurales, en particulier dans les zones de peuplement indien. Jusque vers les années 50, les sociétés rurales avaient vécu en autarcie et n'avaient guère connu l'économie de marché. Les inégalités sociales y étaient peu marquées et la fête catholique servait à la redistribution de l'excédent. En effet, la famille qui assumait le coût de la fête religieuse consumait son avoir au bénéfice de la collectivité. La fête, en redistribuant ainsi les richesses, avait une fonction régulatrice essentielle. Or, avec le développement de l'économie de marché et la monétarisation des échanges, à partir des années 70, les inégalités sociales se sont creusées, et la fête qui, autrefois, contribuait à les enrayer, n'a fait que les accroître encore un peu plus. En devenant des biens marchands, l'alcool, les bougies, nécessaires à l'organisation de toute fête digne de ce nom, sont devenus des sources de profit pour quelques caciques enrichis. C'est en réaction à ces dérives de la fête catholique que le pentecôtisme s'est propagé parmi les secteurs dominés des sociétés rurales.