Dans les années 1960, l’opinion française se faisait une idée fausse sur Vichy : on pensait que ce régime avait subi le diktat allemand sans aucune possibilité d’autonomie, que l’État de Pétain avait tenté de servir de « bouclier » pour protéger du mieux qu’il pouvait les Français, voire que Vichy se livrait à un « double jeu » en épousant secrètement la cause des Alliés. C’était aussi le point de vue défendu par les historiens de l’époque, tel Robert Aron, qui n’avait pas eu accès à toutes les archives et s’était basé uniquement sur les transcriptions des audiences publiques des procès d’épuration.
Robert O. Paxton contourna la grande difficulté qu’il y avait à consulter les archives françaises en étudiant les archives allemandes, conservées en partie aux États-Unis. Le résultat de l’enquête fut une « révolution » : R. Paxton établit que c’est en réalité Vichy qui proposa à l’Allemagne une véritable « collaboration d’État », une association à part entière dans le nouvel ordre européen nazi. Au nom de la « raison d’État » (sauvegarder à tout prix la souveraineté française), Vichy avait, de tous les pays occidentaux occupés, fourni le plus grand nombre d’ouvriers à l’Allemagne. Le régime avait aussi participé activement à la solution finale nazie en aidant, de son plein gré, à la déportation des Juifs de France. Enfin, Vichy inventait un régime autoritaire en instaurant la Révolution nationale, un ordre moral fondé sur un nationalisme xénophobe et sur une mythologie de la France traditionnelle et rurale.
La publication de ce livre écrit par un historien américain, à partir d’archives allemandes, va faire l’effet d’un choc en France. R. Paxton lève en effet un tabou de la mémoire collective en montrant que c’est de son plein gré que le régime de Vichy a collaboré avec l’Allemagne. Dans la même période, un film comme Le Chagrin et la Pitié (1 970) montre les ambiguïtés de la période d’occupation. Une fois ce verrou levé, les historiens français vont se mettre à produire de nombreux travaux de qualité sur ce pan sombre de notre passé (1). Et initier une histoire de la mémoire, qui va ensuite s’étendre à d’autres périodes (Première Guerre mondiale, guerre d’Algérie).