« Toute la terre avait un seul langage et un seul parler. Or il advint, quand les hommes partirent de l’Orient, qu’ils rencontrèrent une plaine au pays de Shinear et y demeurèrent. Ils se dirent l’un à l’autre : “Allons ! Briquetons des briques et flambons-les à la flambée !”
La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de mortier.
Puis ils dirent “Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour, dont la tête soit dans les cieux et faisons-nous un nom, pour que nous ne soyons pas dispersés sur la surface de toute la terre !” Iahvé descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils de l’homme, et Iahvé dit : “Voici qu’eux tous forment un seul peuple et ont un seul langage. S’ils commencent à faire cela, rien désormais ne leur sera impossible de tout ce qu’ils décideront de faire. Allons ! Descendons et ici même confondons leur langage, en sorte qu’ils ne comprennent plus le langage les uns des autres.” Puis Iahvé les dispersa de là sur la surface de toute la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. C’est pourquoi on l’appela du nom de Babel. Là, en effet, Iahvé confondit le langage de toute la terre et de là Iahvé les dispersa sur la surface de toute la terre. (Genèse XI, 1-9) (1) 1»
Voilà donc comment, dans la Bible, Dieu mit fin à l’arrogante construction de la tour de Babel : en condamnant les hommes à parler des langues différentes, il rendit leur coopération impossible.
L’origine de la légende de Babel
Légendaire, ce récit n’en recouvre pas moins une forme d’historicité. À la fin du IVe siècle avant J.‑C. vivaient en Mésopotamie deux peuples, les Sumériens, parlant une langue dont nous ne savons pas grand-chose, et les Akkadiens, parlant une langue sémitique. Les Akkadiens vont emprunter aux Sumériens leur système d’écriture, le cunéiforme, en l’adaptant à leur propre langue de façon à la fois phonétique et sémantique. Ainsi le signe, qui désignait en sumérien le ciel (an) ou dieu (dingir) va être emprunté par les Akkadiens soit avec la valeur phonétique an, soit avec le sens de ciel (shamu) soit enfin avec le sens de dieu (ilu). L’akkadien, qui sera parlé au moins jusqu’au Ier siècle, va devenir la langue diplomatique du Proche-Orient et se divisera en deux branches, le babylonien et l’assyrien. Il faut en outre préciser qu’il y avait alors en Mésopotamie de nombreuses ziggourats, sortes de pyramides à étages au sommet desquelles se trouvait un sanctuaire, et que celle de Babylone était célèbre.
Ces rapides précisions sont nécessaires pour comprendre l’origine de la légende de Babel. Son nom apparaît pour la première fois vers -2200 sur une tablette sumérienne, sous la forme de trois cunéiformes, qui se lisent ka dingir ra et signifient « porte de dieu ». Les Akkadiens vont traduire ce nom dans leur langue pour désigner la ville de Babylone, qui deviendra donc bâb-ili, avec le même sens. Le nom de Babel est ensuite cité des dizaines de fois dans la Bible pour désigner la ville de Babylone, et une fois donc pour désigner la tour de Babel dans le récit qui allait s’attacher à son nom.