Ce que nos poils disent de nous

On ne choisit pas sa pilosité, on la sculpte ! Tout comme les cheveux, les poils délivrent des informations sur nos goûts, notre personnalité, notre place dans la société… mais aussi notre époque.

17079065490_POILS_ANTHROPOLOGIE_TW.webp

Contrairement aux mutilations d’organes qui sont définitives (la circoncision, l’excision par exemple), les modifications que l’on apporte aux poils et aux cheveux sont temporaires et réversibles. Ces phanères, ou excroissances épidermiques, se prêtent aux arrangements les plus divers sans risque biologique majeur et sans en compromettre la repousse. On peut les couper, les raser, en modifier la forme et le volume, les friser, les défriser, les crêper, les dresser en crête, les tresser, les natter, les tisser, les exhausser à l’aide d’un cimier comme dans les coiffures africaines, les oindre et les modeler avec des corps gras, voire de l’argile, les allonger par des fibres végétales ou par des cheveux humains (faisant l’objet d’un commerce lucratif à longue distance), les teindre, les déteindre, etc. Ces manipulations sont d’autant plus loisibles que la pilosité ne sert plus, biologiquement et physiologiquement, à grand-chose : sa fonction de thermorégulation a complètement disparu chez Homo au fil de l’évolution, depuis Homo ergaster voici 1,7 million d’années. Et sa fonction de protection, elle, est infirmée par les usages culturels : on s’épile les sourcils, originellement voués à retenir la sueur s’écoulant du front et risquant d’atteindre les yeux ; les chauves s’accommodent du soleil ; et la mode, chez les hommes, est de se raser l’ensemble du crâne dès la calvitie naissante. Ainsi, le moins que l’on puisse dire est que les sociétés prennent leurs aises avec ces poils censés protéger leurs membres. Et c’est précisément parce que la pilosité est un vestige largement inutile qu’elle se prête sans problème à autant de bricolages sociaux et esthétiques, et qu’elle offre de singulières propriétés pour symboliser les différences entre les sexes, entre les statuts sociaux, entre populations voisines ou lointaines… Mais aussi entre soumis et rebelle, moine tonsuré et ermite hirsute, civilisé et sauvage, culture et nature, beau et laid, catégories variables selon les sociétés et les époques.

La barbe contre-attaque

Tout d’abord, considérons la distinction entre le masculin et le féminin. La pilosité est, comme la poitrine ou la hauteur de la voix, une caractéristique du dimorphisme sexuel. Ces différences que la nature a posées, nos cultures (et les cultures en général) ont eu tendance à les creuser. Chez nous, les adolescents guettent ainsi avec fébrilité l’apparition de leurs premiers poils, la transformation de leur duvet en moustache, tandis que les jeunes filles les traquent sur leurs jambes et sur leur visage pour les faire disparaître. C’est que le lisse féminin et le dru masculin ont constitué, à quelques exceptions remarquables près (l’étonnant 18e siècle notamment), le paradigme de la beauté et de la normalité dans l’histoire de l’Occident. À l’ostentation des signes pileux de la virilité (barbe, moustache, poils sur le torse) s’oppose traditionnellement la dissimulation de la chevelure féminine associée à la séduction. « Femme en cheveux/Viens si tu veux », disait naguère un proverbe… Et faut-il rappeler l’attrait de la moustache, que vante un personnage féminin de Maupassant (« Vraiment, un homme sans moustache n’est plus un homme ») et que portaient les vedettes masculines de naguère, tel Clark Gable ?