Stress, fléau des temps modernes

Le stress, omniprésent dans notre vie, est l’un des fléaux de notre temps, et peut nous rendre physiquement ou psychiquement malades. Par quels mécanismes agit-il sur notre corps ? Existe-t-il des techniques qui, à défaut de l’éliminer, permettraient au moins de l’apprivoiser ?

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« Pourquoi les zèbres n’ont-ils pas d’ulcère 1 ? » C’est la question très pertinente que se pose le psychologue Robert Sapolsky – qui, lorsqu’il n’étudie pas la neurobiologie du stress à l’université de Stanford, passe son temps au Kenya à observer le comportement des animaux de la savane. Sa réponse est la suivante : le stress est une réaction adaptée face aux risques. Sans stress, les zèbres ne fuiraient pas à l’approche du lion et seraient aussitôt dévorés. Néanmoins, bien qu’entourés de prédateurs, les zèbres ne développent (pratiquement) pas d’ulcères – pas plus qu’ils ne souffrent d’hypertension ou d’autres maladies liées au stress. Ainsi, chez l’animal, le stress constitue une réaction naturelle et salutaire permettant de faire face au danger. Mais chez l’humain, il est à double tranchant et peut nous perdre au lieu de nous sauver, gâchant notre quotidien et détraquant massivement notre métabolisme.

L’homme, animal stressé

Pour comprendre l’absence de maladies du stress chez les animaux de la savane, il faut, selon R. Sapolsky, distinguer trois types de situations :

Quand un groupe de lions rôde dans les parages et se met à courir en direction des zèbres, il s’ensuit une grosse montée d’adrénaline, puis une fuite éperdue. Le stress est intense mais éphémère. Pour les zèbres qui ont réussi à fuir, la tension retombe vite. Ce stress-là est hautement adaptatif.

Deuxième cas de figure : la sécheresse. Cet été, il y a moins à manger et à boire dans la savane. Il faut donc faire des kilomètres par jour en quête de nourriture. L’animal (ou l’humain) qui vit dans de telles conditions subit pendant des semaines une agression moins intense mais chronique. L’organisme s’adapte plus ou moins bien à ce contexte.

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Mais il y a un troisième cas de figure : un stress intense et durable. D’après R. Sapolsky, les animaux ne connaissent pas ce genre de contexte. Seuls les humains en sont victimes… cause de leur intelligence ! Nous autres humains avons créé des environnements artificiels – entreprise, vie urbaine, cercle familial – où l’on subit, quand les choses se passent mal, des agressions intenses et répétées auxquelles on peut difficilement échapper en fuyant, comme le fait le zèbre face au lion. À cela s’ajoute une aptitude proprement humaine à s’inquiéter pour son avenir. Les humains ne se contentent pas de réagir aux agressions de l’environnement, ils les imaginent. Que vais-je faire si je n’ai pas mon examen ? Si je suis licencié ?… Ni les éléphants, ni les zèbres, ni les antilopes ne s’embarrassent de ce genre de question. Les zèbres ne cotisent pas pour des caisses de retraite ou des mutuelles. Nous autres humains sommes congénitalement préoccupés par l’avenir, et souvent, pour notre propre malheur.

Bon stress versus mauvais stress

Médecin militaire, spécialiste des conditions extrêmes, Xavier Maniguet en a fait l’expérience. Pilote, parachutiste, plongeur, c’est un homme d’action. Un vrai. Son livre, Bien vivre avec son stress 2, débute par une expérience pour le moins effrayante lors de son deuxième saut en parachute. Largué de l’avion à 750 mètres au-dessus du sol, le jeune homme (il a alors 24 ans) se retrouve subitement sur le dos, tête tournée vers le ciel – une position de chute inhabituelle. Pas de panique : l’ouverture de son parachute va sans doute le redresser. Mais malgré plusieurs tentatives, il ne s’ouvre pas. En pareille situation, il reste toujours le parachute ventral de secours. Or, voilà que ce dernier connaît lui aussi une avarie : il fait « la torche », s’enroule autour de lui-même. X. Maniguet sent alors la mort arriver à toute vitesse. Malgré la peur, il est étrangement lucide et essaie par plusieurs moyens de débloquer les sangles. Il y parviendra in extremis : tandis qu’il se trouve à 50 mètres au-dessus du toit d’une maison hérissé d’antennes et de cheminées, l’air s’engouffre enfin dans la toile. Après un ralentissement brutal et un atterrissage violent dans la cour d’une ferme, le parachutiste s’en sort indemne.

Voilà une illustration du bon et du mauvais stress. Si le bon stress alerte des dangers et stimule aussi notre appétit à agir – d’ailleurs, le jeu, l’amour, la création et les défis de la vie ne vont pas sans stress –, le mauvais apparaît quand les agressions physiques ou psychiques deviennent trop vives et durables. De fait, X. Maniguet distingue lui aussi plusieurs types de stress. D’abord le stress court et intense lié à des situations extrêmes (comme lors de ce saut en parachute). Dans ce cas, l’organisme peut réagir par une panique envahissante ou parfois, au contraire, par une étrange réaction d’hyperadaptation. Le cerveau rentre dans une sorte d’état second, comme si quelqu’un d’autre prenait les commandes. Durant sa chute, l’auteur se souvient de sa lucidité (il analysait la situation avec beaucoup de calme, tel un observateur extérieur), se surprenant à exécuter les bons gestes à une vitesse fulgurante. De même, il ne ressentait aucune douleur malgré les écorchures qu’il se faisait aux mains en tirant sur les sangles. Ce stress des situations extrêmes serait, selon notre médecin baroudeur, à distinguer d’un stress plus ordinaire et courant : celui de la « vie moderne ». Le stress de l’homme contemporain a peu à voir avec celui du guerrier au combat ou du parachutiste en chute libre. C’est un stress lié à nos modes de vie : il est moins intense mais plus courant et n’appelle pas de riposte immédiate. Il prend la forme de nombreuses petites agressions quotidiennes : dispute dans un couple, surcharge de travail, accrochage en voiture, etc. Et la particularité de ces petites agressions est que l’on ne peut souvent pas y réagir par la fuite ou la contre-attaque. Que faire contre l’actualité internationale morbide ? Contre la panne de l’ordinateur qui arrive au pire moment ? Souvent, nous ne disposons pas des moyens immédiats pour trouver une solution.