À contre-courant, 1969-2000. Mémoires, T. II

Michel Crozier, Fayard, 2004, 373 p., 22 €.

Le premier tome des Mémoires du sociologue Michel Crozier s'était clos sur les fièvres étudiantes de la fin des années 60 et le refus émis par l'auteur de poursuivre une carrière à l'université de Harvard. Ce deuxième volet revient sur la période nouvelle qui débute alors. C'est l'époque de la maturité et de la mise en pratique d'une pensée sociologique résolument tournée vers l'action. Trois décennies durant lesquelles il dirige le Centre de sociologie des organisations, milite au sein du club Jean-Moulin, influence le projet « Nouvelle Société » de Jacques Chaban-Delmas, contribue à la modernisation de l'Etat et de ses institutions.

Si M. Crozier a définitivement choisi la France comme port d'attache, son itinéraire le mène régulièrement à l'étranger où il connaît un grand succès. Il traverse le rideau de fer et côtoie les milieux politiques et intellectuels de Pologne, de Bulgarie et d'URSS ; il retrouve la Californie bouleversée par une révolution sociale sans précédent, enquête sur les innovations administratives dans un Japon en pleine effervescence, découvre une Chine en renouveau à l'ère de Deng Xiaoping...

Ces nouveaux épisodes laissent apparaître un M. Crozier intime, timide, humaniste, passionné. Ils décrivent sa trajectoire intellectuelle jusqu'à la dernière grande consécration que constitua son entrée à l'Académie des sciences morales et politiques. Teintées d'amertume, ces mémoires disent la difficulté du réformateur à insuffler à la bureaucratie française un dynamisme nouveau, et oscillent fréquemment entre « pessimisme de l'intelligence » et « optimisme de la volonté » (pour reprendre Romain Roland, cité par Sylvie Trosa lors d'un récent colloque organisé autour du sociologue). On appréciera le regard lucide et sans compromis d'un auteur qui laissera une empreinte décisive dans l'histoire de la pensée sociologique française.