Enseignant la sociologie des organisations depuis de nombreuses années, en particulier auprès de publics de formation continue, je voudrais, dans ce numéro consacré à la compréhension des organisations, apporter des éléments relevant de l'ordre du témoignage. Il s'agit de montrer l'impact spécifique des différents courants théoriques explicatifs, les réactions des publics et les facilités (ou difficultés) d'apprentissage propres à chacun de ces ensembles.
Le public de ces formations est composé de cadres moyens, de techniciens, de syndicalistes. La procédure de formation consiste en une présentation des différentes théories de sociologie des organisations, présentation qui se fait en deux journées et se termine par une grille d'analyse. Après quoi les stagiaires, retournant dans leur entreprise, réalisent une analyse sociologique organisationnelle de celle-ci. Deux à trois mois plus tard, ils retournent en formation et présentent chacun leur travail. Pour l'avoir expérimentée depuis vingt ans environ, je peux témoigner de la richesse de cette méthode. Les stagiaires en comprennent facilement l'intérêt car elle leur donne une clé de compréhension et d'interprétation de leur milieu professionnel en même temps qu'elle permet l'appropriation d'un mode d'approche de l'organisation, le plus souvent très original pour eux.
Quatre thèmes apparaissent centraux dans cet enseignement : le pouvoir et l'autorité ; les « mondes » et les « accords » ; la coopération présentée dans le cadre de la traduction, et, enfin, le changement et les cultures. Ces thèmes s'appuient sur les ensembles théoriques 1 que sont l'analyse stratégique, la théorie des conventions, celle de la traduction, celles qui décrivent l'organisation comme un lieu de culture et d'identité, et enfin le changement (voir tableau page suivante).
Faire passer le public en formation de la sociologie spontanée à une méthode d'approche rigoureuse de l'organisation est difficile. Les représentations présentes dans ces milieux professionnels, instruits dans les disciplines scientifiques, sont encombrées de prénotions portant sur la nature humaine, le poids de l'économique, de la technique, etc., même si cette sociologie spontanée révèle une part de la réalité vécue qui ne doit pas être négligée. Parvenir à une certaine rigueur est possible dans la mesure où ce sont les formés qui mènent eux-mêmes les analyses. Leur milieu professionnel peut être appréhendé dans des grilles dont la pertinence leur apparaît vite, et qui remplacent - avec l'avantage d'être utilisables - les données immédiates antérieures.
Pouvoir et autorité
Pouvoir et autorité sont des concepts facilement compréhensibles pour des individus ayant la fonction de mener une action au sein d'un groupe sur lequel ils ont autorité. Toute organisation se structure autour de phénomènes de pouvoir et d'autorité. Dans la panoplie des théories disponibles, l'analyse stratégique est utilisée pour introduire ce thème. Exposée à travers les deux ouvrages de référence L'Acteur et le Système et Le Pouvoir et la Règle, elle est un merveilleux instrument pour faire apparaître l'entreprise/organisation et ses différents services comme un système structuré par le pouvoir, composé d'acteurs, de leurs stratégies, de leurs jeux de pouvoir et de zones d'incertitude.
Cette situation est souvent rencontrée lors de l'introduction de nouvelles technologies. Je l'ai illustrée dans le cas Siphon 2. Il s'agissait de la modernisation d'un atelier d'une usine de produits chimiques. On y voyait un responsable du service des études écarter tous les autres services qui auraient pu prétendre contribuer à la mise en place du projet (fabrication et entretien-maintenance surtout), en particulier au moment où il fallait faire face aux incertitudes liées à la conception, à la préparation et à la mise en service d'un ensemble technique de grande taille. Au final, l'ensemble était techniquement réussi, mais il a fallu un très long délai avant que l'atelier sache le faire tourner et que l'entretien-maintenance puisse y intervenir.