Achille et Ulysse, force et ruse dans la Grèce antique

L’Iliade et L’Odyssée mettent en scène deux archétypes : Achille le combattant fort et intrépide, et Ulysse le stratège rusé et ingénieux. Ces deux modèles structurent encore la pensée militaire.

Dans l’Iliade et l’Odyssée, Homère met en scène deux figures du guerrier, antithétiques mais inséparables : Achille, dont la force exprime le courage et l’excellence ; Ulysse, dont les ruses dénotent l’habileté et l’intelligence. Achille est le guerrier qui brave le danger au risque d’une mort forcément belle puisque synonyme de sacrifice. Ulysse est le guerrier qui devient stratège, mettant sa prudence et son ingéniosité au service de la victoire.


Deux visions de la guerre

Si la comparaison d’Achille et d’Ulysse est éclairante, c’est parce que les deux personnages reflètent deux visions, à la fois distinctes et étroitement liées, qui se forment dans le monde grec et façonnent encore aujourd’hui le regard que nous portons sur la guerre dans le monde occidental. Avec Achille, c’est toute une conception de la guerre comme duel « à la régulière » qui trouve son origine. Le personnage d’Achille dans l’Iliade symbolise le combat dans lequel s’affrontent des « champions » désignés pour représenter leur communauté, ou des armées aux forces comparables engagées dans une bataille décisive se déroulant selon des règles définies à l’avance (les deux camps s’accordant par exemple sur le lieu et le moment de la bataille). À cette guerre considérée comme le jugement de la force s’oppose, dès l’origine, une guerre de ruse, faite d’embuscades et d’attaques surprises, dont le personnage d’Ulysse est l’archétype.

L’âme du guerrier grec est ainsi divisée entre l’ivresse du combat qui conduit au sacrifice et le calcul stratégique qui mène à la victoire. Pendant la guerre de Troie, Achille entre dans la légende en jetant toutes ses forces dans la bataille, allant au-devant de la mort. Ulysse, moins fort physiquement, sait qu’il peut compter sur son ingéniosité ; il demeure ce héros inoubliable « dont les ruses sont fameuses partout et dont la gloire touche au ciel » (Odyssée, IX, 16). Qui est le plus glorieux et conforme à l’idéal grec ? En dressant les portraits croisés d’Achille et d’Ulysse, Homère donne les deux réponses possibles. Ulysse n’est pas l’opposé d’Achille mais son double : la ruse n’est pas le contraire de la force, elle vient plutôt l’éclairer. La force du soldat n’est rien sans l’intelligence du stratège.

L’hoplite et le stratège

Comme l’explique Hérodote, le grand témoin des Guerres médiques (de 499 à 449 av. J.-C.), le mode de combat privilégié par les Grecs est celui de la bataille rangée, livrée ouvertement par l’infanterie lourde des hoplites et qui fait triompher l’armée la plus compacte et la mieux organisée.

publicité

L’exemple le plus significatif en est la bataille de Marathon contre les Perses, en 490 av. J.-C. Les soldats hoplites, commandés par le stratège athénien Miltiade, fondent sur l’ennemi, qui ne peut rien contre la cohésion grecque : selon Hérodote, 6 400 Perses sont tués, contre 192 Athéniens. Cette bataille symbolise l’efficacité tactique de la phalange* hoplitique. Hérodote la décrit en détail car il considère le combat en rase campagne comme le principe fondamental de la stratégie grecque. Comme le note l’historien Yvon Garlan, les guerres grecques sont « des sortes de concours en vase clos, avec l’unité de temps, de lieu et de moyens, indispensables pour que le verdict apparaisse juste et incontestable, (…) des batailles rangées qui expriment la volonté des dieux et le destin des hommes » 1. Pour les Grecs de la première moitié du 5e siècle av. J.-C., le combat hoplitique constitue un exemple à suivre.