> Serge Tisseron
Psychiatre et psychanalyste, docteur en psychologie habilité à diriger des thèses à l’université Paris Ouest, co-auteur du rapport de l’Académie des sciences « L’enfant et les écrans », il a récemment publié Guide de survie pour accros aux écrans (Nathan, 2015), 3-6-9-12. Apprivoiser les écrans et grandir (2e éd., Erès, 2017), et Mort de honte. La BD m’a sauvé (Albin Michel, 2019).
Qu’est ce qui peut être le plus bénéfique dans l’utilisation des écrans ?
Il y a beaucoup de catégories d’écrans : la télévision, l’ordinateur, la tablette, le téléphone mobile… Et on n’en a pas le même usage. Le plus bénéfique dans un écran non-interactif, c’est-à-dire qu’on se contente de regarder comme au cinéma, c’est de découvrir ce qu’on ignorait et de pouvoir en parler avec d’autres. On satisfait sa curiosité, et on alimente des conversations. Du côté des écrans interactifs, les jeux vidéo par exemple, l’intérêt est d’organiser un petit groupe, une communauté de gens qui s’intéressent à la même chose que nous, afin d’échanger des idées, élaborer des projets, débattre. Qu’on les connaisse physiquement ou pas, et qu’ils soient géographiquement proches de nous ou non.
Quels sont les dangers ?
J’attendais cette question ! Les dangers se situent dans la même logique que les avantages : les écrans non-interactifs peuvent nous prendre beaucoup de temps et nous isoler. On sait quand on allume la télé, jamais quand on va l’arrêter, ce qui peut nous amener à nous coucher tard et être fatigués le lendemain. Le gros problème de ces écrans, c’est donc la gestion du temps, et ce que ça peut nous empêcher de faire part ailleurs. Pour les écrans interactifs s’ajoute un danger supplémentaire : la tentation de mettre un peu d’argent en échange d’avantages. Par exemple, beaucoup de jeux vidéo sont proposés en accès libre sur Internet, mais lorsqu’on peine à réaliser des épreuves difficiles, on peut se retrouver à payer pour avancer plus vite. On s’appauvrit alors sans même s’en rendre compte. Troisième inconvénient, les écrans sont formidables quand on est content de sa vie, mais quand on se trouve confronté à une difficulté importante, la tentation est de les utiliser pour fuir. Ils sont la plus extraordinaire potion d’oubli qui existe face à une réalité difficile… mais ils risquent de nous absorber. Certains internautes disent qu’ils ont commencé à s’engouffrer dans les écrans pour oublier que leur copine les avait quittés, et finissent par oublier tout le reste. Si tu as la tentation de fuir dans les écrans, je souhaite qu’une petite lampe rouge s’allume dans ta tête et que tu te dises : « Non, il vaut mieux que je parle à quelqu’un »