Trois questions à ...Jean Decety

Aimer voir souffrir

Que se passe-t-il dans la tête d’un adolescent lorsqu’il visionne des images violentes : répulsion ou plaisir ? Tout dépend du profil de l’adolescent en question comme le révèle une expérience d’imagerie cérébrale.

Orange mécanique, film culte de Stanley Kubrick (1971) tiré du roman d’Anthony Burgess, met en scène une petite bande d’adolescents apôtres de l’ultraviolence. Leur jeu favori consiste à déambuler en ville, armés de cannes et de bâtons, à choisir une victime innocente et à la rouer de coups.

Pourquoi certains individus semblent-ils prendre plaisir à faire du mal ? N’éprouvent-ils pas, comme la plupart des gens, de l’empathie envers autrui ?

Une étude, récemment conduite à l’université de Chicago, a essayé de comprendre ce qui se passait dans la tête de certains adolescents perturbés pendant qu’ils assistaient à des scènes de violence (1). Un groupe de huit jeunes garçons de 16 à 18 ans, connus pour avoir régulièrement commis des actes violents et manifestant des troubles de conduites (2), a été invité à visionner des vidéos montrant des gens agressés et blessés. Pendant le visionnage, leur cerveau est soumis à une IRMf (technique de visualisation du cerveau en activité). Le résultat est comparé à celui obtenu auprès d’autres jeunes garçons du même âge, non connus pour des actes de violence.

Que constatent les chercheurs ? Leur hypothèse initiale : chez les jeunes garçons violents se révélerait une indifférence affective à l’égard des victimes. Surprise ! Au lieu de l’indifférence, les chercheurs constatent plutôt que leurs émotions sont fortement sollicitées, mais à travers les centres du plaisir. Dans le groupe témoin (celui des jeunes « normaux »), les scènes de violence provoquent l’activation du cortex préfrontal médian et orbitofrontal (qui régule les émotions) ainsi que de la jonction temporopariétale (TPJ). Chez les jeunes garçons présentant des troubles de conduites, les zones activées sont différentes. Le cortex préfrontal et la TPJ ne sont pas activés. En revanche, les zones du plaisir (amygdale et stratum ventral) sont fortement engagées.

(1) Jean Decety, Kalina J. Michalska, Yuko Akitsuki, Benjamin B. Lahey, « Atypical empathic responses in adolescents with aggressive conduct disorder: A functional MRI investigation », , 2008. (2) Selon la définition de la 4e édition du édité par l’Association américaine de psychiatrie.