Vous décrivez Freud et la France comme un livre « propre au délassement », et vous vous qualifiez vous-même de « montreur de marionnettes » plutôt que d’historien. Qu'entendez-vous par là ?
J'ai écrit 90 articles, dont bon nombre ont été consacrés à l'histoire de la psychanalyse en France, et j'accumule les archives depuis 25 ans. Ce livre en constitue la suite logique. J'avais d'abord envisagé un recueil de ces textes qui se serait intitulé Freud en France, mais j'ai jugé plus intéressant de reprendre toute l'histoire, en la complétant, avec une très grande précision. Pour autant, je ne suis pas un historien mais un raconteur d'histoires qui met le lecteur en face de documents, de citations, d'événements : à charge pour lui de se faire son opinion. Moi, je ne veux pas dire ce qu'il faut penser des protagonistes décrits. Ce livre me semble donc plutôt une promenade, année par année. Ce parti pris chronologique est d’ailleurs un procédé inhabituel que je devrais breveter !
Quelle était la place de la culture française dans l'environnement familial du très jeune Sigmund Freud ?
Peu importante. Freud s'est formé tout seul, se forgeant une culture toute personnelle, incomplète. Adolescent, Zola l'a passionné, notamment avec son positionnement lors de l'affaire Dreyfus. Il a beaucoup aimé aussi Anatole France, dont le style était merveilleux pour l'époque. Il a en revanche interdit à sa sœur de lire du Balzac, selon lui à ne pas mettre entre toutes les mains... Il nourrissait par ailleurs une passion pour Masséna, général juif de Napoléon, mais pas pour Napoléon lui-même. Si, à la fin de sa vie, sa correspondance avec Thomas Mann fera état d'une explication du cas Napoléon, ce sera sans fascination.
Il a effectué une partie de sa formation en France, lors de stages avec de grands psychiatres. Quelle a été, par exemple, l'influence de Jean Martin Charcot sur la genèse de la psychanalyse ?
Ses quelques stages ont été brefs, quelques mois au plus. Chez Charcot, à l'hôpital de la Salpêtrière, il venait étudier l'anatomie du cerveau des enfants. Car n'oublions pas qu'à l'origine il était anatomo-pathologiste, pas du tout psychologue ! Il a alors été saisi par l'enseignement et le charisme fantastique de cet homme, au point de vouloir devenir son traducteur. Charcot pensait que les symptômes hystériques avaient une origine, un début qu'il fallait retrouver. Mais il ne pensait pas du tout que c'était psychique. Quand Freud est reparti s'établir à Vienne comme médecin généraliste, il a soigné des patients névrosés avec les moyens du bord, comme le traitement électrique, la douche, les messages... Il a constaté que ça ne marchait pas. Puis il est tombé sur le cas d'Anna O., rapporté par son confrère Joseph Breuer, qui a retrouvé l'origine de ses symptômes dans de très vieux souvenirs. Le discours des patients semblait éclairer l'origine de leurs troubles, contrairement à ce qu'estimait Charcot. Pour Freud, le Français était donc un génie, mais ils n'étaient pas d'accord. Après la mort de Charcot en 1893, il n'y a d'ailleurs plus jamais fait allusion. Si Charcot a donné l'étincelle, Freud a entretenu son propre feu de son côté avec la psychanalyse, fruit de dix ans de réflexions, et dont le nom est apparu pour la première fois en 1896, dans un article en français.