Fin analyste de l'individualisme contemporain, le sociologue Alain Ehrenberg s'est livré à une critique de ce qu'il appelle le « tournant subjectiviste » dans les sciences humaines. Sous cette étiquette, il a rangé deux phénomènes. Du côté des neurosciences, il désigne l'émergence d'une « biologie de l'esprit (...) biologie de l'homme total, agissant et pensant », qui associe « les fonctions mentales les plus élevées au fonctionnement de circuits de cellules nerveuses ». Ce qui donne des recherches du type « les bases neurales de la punition altruiste », ou encore « le système sérotoninergique et les expériences spirituelles »...
Du côté de la sociologie, l'analyse du « nouvel individualisme » ou du « sujet » fait jouer un grand rôle à la subjectivité individuelle, notamment à travers la notion de « soi » (ou parfois « estime de soi »), qui « apparaît comme une entité spirituelle agissante majeure qui se substitue à la notion de social ».
Pour A. Ehrenberg, on retrouve dans les deux cas un même problème : « la difficulté à penser la vie sociale, la société, (...) le fait que l'homme vit en commun », les relations sociales étant réduites à des relations intersubjectives. Prônant un retour à Emile Durkheim et Marcel Mauss, il a rappelé que « ce n'est (...) pas parce que la vie humaine apparaît plus personnelle aujourd'hui qu'elle est pour autant moins sociale, moins politique, moins institutionnelle ». Et plaidé pour une définition de la sociologie comme « science de l'institution », car « il n'y a de personnel, donc de subjectif, que parce qu'il y a d'abord un monde de significations impersonnelles cohérentes sans laquelle la subjectivité humaine se perdrait dans l'innommable de la folie ».