Normalien et agrégé d’histoire après la Libération, Alain Touraine est devenu sociologue pour deux grandes raisons sur lesquelles il s’est toujours expliqué. La première a été une passion pour le travail ouvrier dans les sociétés industrielles. La seconde est un goût pour l’histoire, non pour l’histoire déjà faite qui est celle des historiens, mais pour l’histoire telle qu’elle se produit dans la vie banale des sociétés à travers les conflits sociaux et les mutations culturelles. Aussi son œuvre accompagne et parfois anticipe les mutations que nous avons connues au cours de sept dernières décennies.
Les premières recherches d’A. Touraine ont été consacrées à la sociologie du travail et à la formation de la conscience ouvrière au sein des usines Renault dans les années 1950. La conscience de classe n’est pas seulement la conscience d’une exploitation et le sentiment d’appartenir à une communauté culturelle : c’est la rencontre d’une volonté d’autonomie et de l’organisation du travail. La conscience ouvrière est une expérience individuelle et collective qui met en cause l’organisation du travail au nom de la capacité d’être le sujet de sa vie. Ce qui compte, c’est l’action qui résiste à l’ordre des choses. Devenue un « classique », la sociologie du travail d’A. Touraine s’opposait à ceux qui concevaient le mouvement ouvrier comme la seule défense de ses intérêts incarnée par le projet politique du Parti communiste. Modèle auquel adhéraient alors la plupart des intellectuels français.