« Je ne suis pas philosophe. Je ne crois pas assez à la raison pour croire à un système. 1 » Pas philosophe, Camus ? Il l’est pourtant, contre lui-même, ou malgré lui. Le jeune homme, issu du petit peuple pauvre des colons algériens, débute comme journaliste et poursuit en devenant écrivain avec la publication de L’Étranger et du Mythe de Sisyphe la même année, en 1942. Le premier livre est un roman, le second un essai, mais les deux s’inscrivent dans le cycle de l’absurde, un ensemble de livres dans lesquels transparaît sa vision de la condition humaine. Ce cycle comporte également deux pièces de théâtres parues en 1944, Le Malentendu et Caligula. Dans ces premières œuvres, il inaugure une pensée du refus, de la désobéissance et de la négation. Il s’agit de pouvoir dénoncer le monde tel qu’il est. L’exemple le plus connu est celui du personnage principal de L’Étranger, Meursault, extérieur aux codes des convenances sociales, ce qui fait de lui un exilé, un étranger au milieu des autres. Cependant, pour Camus, l’absurdité des choses et l’injustice ne sont pas des fatalités, bien au contraire. Prendre conscience de leur existence n’est que le premier pas avant de se révolter.
Refusant le manichéisme, il ne se fera chantre d’aucun régime dictatorial quand certains de ses amis encensent l’URSS. Il oscille entre une gauche morale et une gauche sociale tout en restant inclassable par son refus des idéologies et son pragmatisme ancré dans une conviction profonde : les régimes politiques ne se mesurent pas à l’aune des discours de leurs dirigeants mais bien aux effets et réalisations qu’ils induisent. Pour Jean-Yves Guérin, « il est, au fond, un socialiste malgré les socialistes ». Il prend en 1956 la défense des insurgés de Budapest. Ni libéral, ni communiste dans la période de la guerre froide, il est avant tout un homme libre.