Propagande, idéologie, charisme… Autant de sujets intéressant la psychologie politique, encore peu développée en France. Professeur de psychologie sociale à l’Université de Caen, fondateur de l’Association française de psychologie politique, et directeur de la revue (en ligne) Les Cahiers de psychologie politique, Alexandre Dorna nous présente cette discipline. Il est notamment l’auteur de Études et chantiers de psychologie politique (L’Harmattan, 2006), et, avec Jean Quellien et Stéphane Simonnet, La propagande : images, paroles et manipulation (L’Harmattan, 2008).
Vous définissez la psychologie politique comme un « carrefour », faisant appel à plusieurs disciplines des sciences humaines. Quelles sont ses origines ?
À la fin du XIXe siècle, Gustave Le Bon écrit un ouvrage comportant le terme « psychologie politique », et un autre plus célèbre intitulé Psychologie des foules. Dans le contexte de révolution industrielle s’exprime alors une « peur » de la foule, perçue comme menaçante pour le pouvoir. Divers auteurs européens, dont Le Bon, cherchent à expliquer le fonctionnement de cette foule, pour comprendre et peut-être prédire les évènements liés aux phénomènes de masse, d’action collective.
La réflexion sur la psychologie et la politique se poursuit dans les années 1920-1930 avec l’émergence inédite du fascisme, dans un contexte de crise économique mais aussi intellectuelle, et de crise des valeurs en Europe. Wilhelm Reich, collaborateur de Freud, est l’un des premiers à lancer un cri d’alerte avec un livre sur la psychologie de masse du fascisme, en montrant que l’on ne peut expliquer le phénomène fasciste uniquement d’un point de vue purement rationnel, économique ou social, mais que des déterminismes psychologiques sont en jeu dans l’éclosion de ces régimes. Le sociologue Max Weber avait anticipé l’importance du charisme en politique. Et Serge Tchakhotine, personnage étonnant, étudiera les phénomènes de manipulation de masse, les techniques de propagande politique, et la présence d’un type de leadership charismatique dans les régimes fascistes.
Dans les années 1940, Theodor Adorno et d’autres, avec l’échelle de la personnalité autoritaire, donnent naissance à une branche de la psychologie politique associée aux phénomènes totalitaires. L’École de Francfort, groupant des chercheurs en sciences sociales qui émigrent aux Etats-Unis, influencera les psychologues des années 1960-1970 comme Milgram, célèbre pour son expérience sur la soumission à l’autorité, ou Zimbardo, avec l’expérience sur la « prison » à Stanford, et indirectement Christophe Lasch, auteur d’un ouvrage sur la « culture narcissique ». Les traces de la psychologie politique sont donc variées. Au moment de la décolonisation, certains intellectuels, sans être psychologues politiques, tel Fanon, ou Martin-Baro en Amérique latine, ont aussi posé la problématique des mouvements de libération des peuples en termes psychologiques.