À la question « Savez-vous qui est Alfred Adler ? », Catherine Rager rappelle dans l’introduction de l’ouvrage qu’elle lui consacre, Introduction à la psychologie d’Adler (Chronique sociale, 2005), qu’on lui fit la plupart du temps les réponses suivantes : un homme politique autrichien ? un musicien ? Un aviateur ? Le parent d’une journaliste ou d’un essayiste ?
De fait, alors qu’aujourd’hui, en France, un grand nombre d’individus peuvent à la question « Qui est Freud ? » répondre qu’il s’agit du « père de la psychanalyse » ou de « l’inventeur du complexe d’Œdipe », le nom d’Alfred Adler semble, dans l’imaginaire collectif, être passé aux oubliettes. Preuve en est : sur un sondage listant 14 psys célèbres qui ont fait le XXe siècle, Alfred Adler arrive bon avant-dernier, avec 0,3 %, devançant à peine l’obscur Fritz Perls, créateur de la Gestalt-thérapie. De fait, dès qu’on évoque Adler, on l’associe immédiatement à sa rencontre avec Freud.
Les deux hommes nouent contact en 1902. Freud, auréolé du prestige récent, dans le milieu analytique, que lui confère la publication de L’Interprétation des rêves, se trouve aussi fermement attaqué par tout un pan de la société viennoise. Un homme l’assure immédiatement de son soutien : marqué dans l’enfance par la maladie (à deux reprises il tombe très malade et perd l’un de ses jeunes frères) au sein d’une famille peu aisée (son père est négociant en grains), Alfred Adler a obtenu son diplôme d’ophtalmologue en 1897 mais s’oriente vers la psychiatrie. Quand en 1902, il fait savoir à Freud tout le respect qu’il a pour son travail, ce dernier l’invite à intégrer son cercle de psychanalyse. Rapidement, Adler en devient le président.
Mais ce qui l’attire alors dans les théories freudiennes, c’est moins leurs vues sur l’inconscient et la théorie des pulsions, élaborées en 1905 avec la première version des Trois essais sur la théorie sexuelle, que le socle biologique et darwinien de la théorie freudienne. Aussi s’oppose-t-il de façon de plus en plus bruyante à l’idée freudienne d’une libido qui serait l’alpha et l’oméga de l’existence humaine.
Pour lui, le pivot de la façon dont chaque individu s’oriente dans l’existence, c’est le complexe d’infériorité. Selon Adler, se vivre comme inférieur peut entraîner un besoin de surcompensation qui passe notamment par un effort exagéré de valorisation de sa personne. La pulsion d’agressivité peut, quand elle est canalisée, participer au sentiment d’appartenance à la communauté. Dès l’instant où la pulsion d’agressivité n’est pas en harmonie avec le pouvoir créateur mais tournée vers la volonté de puissance, elle entraîne anarchie et destruction. C’est sensiblement la même idée que l’on retrouvera, plus tard, chez Freud, dans Malaise dans la culture.