Anne Ancelin Schützenberger : Pas de famille sans secrets


Professeur émérite de psychologie à l’université de Nice Sophia-Antipolis, Anne Ancelin Schützenberger est connue du grand public pour son ouvrage de psychogénéalogie Aïe, mes aïeux ! (Desclée de Brouwer, nouvelle édition 2007). Mais ses centres d’intérêts ont toujours été multiples, de la psychanalyse au psychodrame en passant par la psychologie sociale ou la communication non verbale. Dès 1947, elle intégrait la toute première promotion d’étudiants en psychologie à la Sorbonne, sous la houlette de Daniel Lagache, et participait à la création du Bulletin de psychologie. Gregory Bateson, Carl Rogers et Françoise Dolto ont figuré parmi ses compagnons de route. Parmi ses ouvrages, citons, chez Payot, Psychogénéalogie (2007), Exercices pratiques de psychogénéalogie (2011), Le Psychodrame (2008), ou encore Le Plaisir de vivre (2009), recueil de textes autobiographiques. A 92 ans, elle revient pour le Cercle Psy sur quelques aspects de sa carrière.

Pouvez-vous rappeler tout d'abord ce qu'est la psychogénéalogie ?

Elle consiste à envisager les problèmes de quelqu’un en tenant compte de son histoire personnelle, ainsi que de l’histoire de sa famille, au sens large, c’est-à-dire sa famille actuelle mais aussi ses ancêtres. Il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va. Freud donnait l’exemple de l’iceberg : sa partie visible, émergée, ne donne aucune indication sur sa direction. A mon avis c’est même un attrape-nigaud ! Il faut donc bien comprendre qu’on est mû par son histoire inconsciente, son histoire familiale, et les problèmes non résolus dont on ignore parfois l’existence. Nous souffrons de problèmes dont le deuil n’a pas été fait, ou pas suffisamment. Entre générations, on se transmet « la patate chaude » qui brûle toutes les mains jusqu’à ce qu’on ait trouvé son origine et qu’on ait pu en faire le deuil. Il n’y a pas de familles sans secret, même si certaines le croient. Je pense que toutes ont un cadavre dans le placard, souvent ignoré. Comme il faut de tout pour faire un monde, il y a de tout dans toutes les familles. Cette découverte des ancêtres n’a pas de vertu thérapeutique en soi, mais constitue un outil de travail pour le thérapeute. Il est primordial de resituer cette histoire familiale dans un contexte aussi bien psychologique qu’historique, sociologique, économique… Tout est une question d’époque et de point de vue. Ce qui est acceptable dans un siècle ne l’est pas dans un autre. Cela ne veut pas dire qu’il faille tout relativiser, certaines choses restant abominables quelle que soit l’époque, comme la torture, ou les guerres, même si elles paraissent légitimes. Mais chaque fois, il faut tout remettre dans sa niche écologique, c’est-à-dire tout resituer dans le climat général et géographique de l’époque. René Char disait : « On ne chante bien que dans les branches de son arbre généalogique. » Je pense qu’il avait raison. Sherlock Holmes, même s’il n’a jamais existé, est quelqu’un d’essentiel pour moi : il nous apprend comment résoudre les problèmes, ou tout au moins savoir bien les poser. Avec Socrate, il fait partie de mon monde intérieur.