Antiquité, une économie proto-capitaliste ?

La Grèce antique a-t-elle inventé le capitalisme ? Serait-ce grâce à la démocratie ? De telles questions hantent l’histoire économique.

C’est au 19e siècle, alors que l’Europe connaît une intense industrialisation, qu’apparaît la controverse sur la nature de l’économie antique. Les exemples de la Grèce, de Rome ou des royaumes orientaux de l’Antiquité vont servir à légitimer tantôt le modèle britannique du libre-échange fondé sur l’initiative individuelle, tantôt le modèle germanique de l’économie nationale, où l’État exerce un contrôle sur le marché et sur les mécanismes d’importation.

De la nature de l’économie antique

Ce débat se développe dans des milieux universitaires français, anglais et allemands. Il représente un moment important dans l’analyse socio-économique des sociétés anciennes, rendue possible grâce aux grandes fouilles menées en Grèce dès les années 1870. Celles-ci livrent, à Délos, à Delphes, à Épidaure, des séries considérables d’inscriptions, dont une grande partie consiste en comptes et inventaires des cités grecques. L’énorme intérêt de la documentation épigraphique pour l’analyse économique est alors très rapidement perçu par les historiens.

D’autres données documentaires affluent lors de fouilles menées en Orient : à Uruk, à Babylone et sur d’autres sites de Mésopotamie, des documents cunéiformes révèlent quantité d’informations sur les productions et les ventes dans les systèmes palatiaux. En Égypte, les découvertes de milliers de papyrus au Fayoum dès les années 1880, puis à Oxyrhynque, permettent d’obtenir des séries de prix et des informations sur le système économique des Ptolémée (dynastie grecque qui règne sur l’Égypte du 3e au 1er siècle avant notre ère). Ces découvertes viennent compléter les révélations provenant des vestiges de Pompéi et d’Herculanum (figés en 79 de notre ère), connus dès le 18e siècle, lors de fouilles qui avaient livré ateliers, villas, tablettes financières. On collecte des faits, on met en série des données.

Dans ces études, l’économie de l’Antiquité est vue comme une économie d’échanges ouverte à la concurrence, mais aussi influencée par les monopoles de grandes puissances, avec des phénomènes de prolétarisation liés aux hausses de prix, et des déplacements de capitaux liés aux contraintes du change. C’est l’occasion pour les chercheurs de débattre, à travers l’étude des économies anciennes, de la vraie nature du capitalisme alors en plein essor dans l’Occident du 19e siècle. L’enjeu est aussi de démontrer, dans une perspective évolutionniste qui mène au progrès contemporain, à quel stade il convient de situer les mondes anciens. Pour les uns, le progrès technique de la révolution industrielle rend par contraste les économies antiques « primitives », car elles ne disposent ni de machines ni d’instruments financiers adéquats. D’autres, au contraire, mettent en avant le caractère résolument « moderniste » des économies antiques, avec le développement urbain associé au développement de la production monétaire et du marché.