Le tabou du harcèlement en entreprise tend progressivement à se lever auprès du grand public. On en parle, on en souffre, mais sans toujours savoir de quoi il s’agit. Quand peut-on réellement parler de harcèlement ? Celui-ci inclut-il nécessairement un rapport hiérarchique ? A quel point l’entreprise est-elle responsable ? Réponses d’Ariane Bilheran, psychologue clinicienne, docteur en Psychopathologie, consultante et auteur de Harcèlement en entreprise : comprendre, prévenir et agir (Armand Colin, 2010).
Comment définit-on le harcèlement en entreprise ?
C’est un mécanisme interpersonnel complexe que l’on retrouve dans différents lieux de vie, tels que la famille, l’institution ou encore l’entreprise. Quel que soit le lieu, plusieurs critères sont fondamentaux pour déterminer s’il s’agit ou non d’une situation de harcèlement. Premier critère : le caractère asymétrique de la relation. Il est alors important de distinguer le harcèlement du conflit, dont la relation entre les deux protagonistes est symétrique. Le harcèlement se caractérise par une relation asymétrique entre une personne, ou un groupe, qui abuse de son pouvoir pour détruire une autre personne, ou un autre groupe. Le harcèlement ne concerne donc pas toujours que deux individus, mais parfois des groupes entiers. Toutefois, pour simplifier, dans le cadre de cette interview je n’évoquerai le « harceleur » et le « harcelé » qu’au singulier. Second critère : la répétition des actes. La situation de harcèlement se caractérise par une répétition de petits abus qui visent à détruire à petit feu la victime en la mettant sous terreur. La gravité réside alors dans l’accumulation de ces agressions invisibles. Troisième critère : ces attaques visent à détruire l’intégrité psychique de la victime.
Le harcèlement en entreprise inclut-il nécessairement un rapport hiérarchique entre les deux protagonistes ?
Souvent oui, mais pas nécessairement. La relation étant asymétrique, la personne harceleuse a nécessairement le pouvoir (officiel ou officieux) sur la personne harcelée. Ainsi, il arrive que des managers ou directeurs harcèlent un salarié. Toutefois, j’ai vu aussi des managers ou des directeurs des Ressources Humaines se faire harceler par des salariés, ayant un fort pouvoir pour d’autres raisons (syndicats, copinages…). Il donc important de ne pas incriminer d’office le supérieur hiérarchique. Ce qui malheureusement arrive souvent, et parfois à tort. Ceci se complique aussi avec le rapport qu’ont les nouvelles générations aux autorités et à l’exigence. Exemple : une salariée, sans se rendre compte des conséquences, s’est dite harcelée par son supérieur car celui-ci n’acceptait aucune faute d’orthographe dans ses écrits. Ou encore, une manageuse a été accusée de harceler ses salariés masculins, sous prétexte qu’elle était une femme ! Efforçons-nous donc de nous distancier des stéréotypes car la réalité est souvent bien plus complexe.