Depuis la diffusion du documentaire Le Mur, la question du traitement de l'autisme par la psychanalyse n'en finit pas de déchaîner les passions. Le 20 janvier, le député UMP Daniel Fasquelle annonçait son intention de déposer une proposition de loi visant à interdire l'accompagnement psychanalytique des autistes au profit de méthodes éducatives et comportementales. Est-il de la compétence de l'Assemblée nationale de se prononcer sur une technique de soins ? Six jours plus tard, le tribunal de grande instance de Lille rendait sa décision concernant le documentaire de Sophie Robert, donnant raison à trois des psychanalystes interviewés, Esthela Solano-Suarez, Eric Laurent et Alexandre Stevens, membres de l'Ecole de la Cause freudienne, qui avaient porté plainte contre la documentariste, lui reprochant d'avoir tronqué et donc profondément dénaturé leur propos (1).
« Les dents de la mère »
On connaît encore mal l'étiologie exacte des troubles du spectre autistique (TSA), qui ont une grande variabilité individuelle. Au point que désormais, beaucoup de chercheurs sont enclins à parler des autismes plutôt que d'autisme. Néanmoins, depuis une dizaine d'années, une multitude d'études ont très clairement identifié chez certains autistes, des altérations sur des gènes régulant la communication entre cellules nerveuses. Les chercheurs estiment donc que de nombreux autres gènes responsables des TSA restent à découvrir. D'autres travaux insistent sur le fait que des hormones comme la mélatonine, voire l'ocytocine joueraient un rôle non négligeable. La piste d'une étiologie neuro-développementale génétique de l'autisme semble donc de plus en plus vraisemblable. Pour autant, le rôle des facteurs environnementaux et notamment des facteurs relationnels est fondamental et peut avoir une influence sur l'expression du génome et du développement cérébral précoce : quand vous êtes un enfant autiste, la vie sera peut-être moins difficile pour vous si vous grandissez dans un foyer chaleureux.
Or, dans le documentaire de Sophie Robert, on entend plusieurs psychanalystes affirmer que l'autisme est bien une psychose, que cette psychose résulte d'une mauvaise relation avec une mère « trop froide » ou « trop chaude », et un père qui n'a pas su s'interposer entre la mère et l'enfant – l'une de ces psychanalystes allant jusqu'à brandir face caméra un gros crocodile en plastique pour illustrer ses propos sur « le phallus du père » qui ne peut faire barrage aux « dents de la mère ». Ces affirmations ont provoqué la colère des associations de parents, et l'affaire a été largement reprise par les médias, au point que certains politiques ont fini par prendre position.
Or, plusieurs des psychanalystes interviewés dans le documentaire estiment s'être fait piéger. Sophie Robert aurait tronqué et dénaturé leurs propos de la plus grossière manière. D'ailleurs, disent-ils, elle roule pour Autistes sans frontières, une association de parents sur le site de laquelle a d'abord été diffusé le documentaire et dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle ne porte pas la psychanalyse dans son cœur. Depuis quelques années, le Professeur Pierre Delion, praticien au CHU de Lille, est l'objet d'une campagne de dénigrement de la part de plusieurs associations de parents. Ces derniers lui reprochent d'avoir recours au packing, une technique consistant à envelopper des patients autistes dans des linges froids et humides pour calmer certains symptômes tels que l'agressivité et l'automutilation. Or, pour ces associations de parents, il s'agit là d'une méthode dangereuse, sans aucune validité scientifique. Interviewé par Sophie Robert dans ce documentaire, Pierre Delion revient en détails sur les circonstances du tournage : « Les extraits sont réalisés de telle sorte que ce sont principalement nos hésitations, nos nuances, notre difficulté à exprimer la complexité de l'autisme par des points de vue coupés et isolés de leur contexte, qui apparaissent. Par exemple, lors de l’entretien, je reprends l’importance qu’a eue Bettelheim dans l’intérêt des psychanalystes pour l’autisme, à une époque où peu de gens se souciaient de la question, même si sa position consistant à séparer l’enfant de ses parents n’a pas été sans poser de problèmes et qu’elle est aujourd’hui inacceptable. Coupé au montage quand j’essayais d’expliquer de façon nuancée sa position historique, il ne ressort dans l’interview que ma défense du « tout Bettelheim », preuve s’il en est que je suis un psychanalyste du passé et donc illégitime à prétendre quoi que ce soit sur l’autisme aujourd’hui. » (2) Durant son entretien avec Sophie Robert, Pierre Delion dit avoir longuement insisté sur le fait qu'il propose toujours aux parents « de faire reposer la prise en charge de leur enfant et sous leur égide, sur un trépied comportant une approche éducative toujours, une approche pédagogique si possible et une approche thérapeutique si nécessaire. Dans la première, les parents vont être amenés à choisir parmi les aides éducatives disponibles actuellement en fonction de leurs souhaits et des ressources de leur lieu de résidence entre le Teacch, l’ABA, les trois ''i'' (3), ou toute autre approche sur laquelle je ne porte aucun jugement. Je précise également à Sophie Robert que pour la partie pédagogique, je soutiens, dès que l’enfant peut aller à l’école, le projet des parents et nous n’évaluons la qualité de ce qui s’y passe que sur une expérience réelle de scolarisation. Dans certains cas, en fonction de ce qui se passe pour l’enfant des aménagements seront construits avec les parents et l’instituteur. Enfin, en matière de thérapeutique, et là encore en fonction de l’état de l’enfant, des propositions sont faites pour l’accueillir dans notre équipe de soins sous une forme révisable à tout instant, pour y recevoir les soins dont il a besoin. Je « soigne » particulièrement les articulations entre les trois champs considérés en partant du principe que dans le domaine des TED/TSA, les liens entre les professionnels sont fondamentaux et ce, dans un travail incessant avec les parents. »