Une étude, publiée le 27 novembre dernier dans la revue Nature, vient relancer le débat sur le foyer d'origine et la diffusion des langues indo-européennes. Depuis une vingtaine d'années, deux hypothèses, fondées sur des indices linguistiques et archéologiques, partageaient la communauté des spécialistes. La première, développée par Marija Gimbutas, situait ce foyer dans les steppes eurasiennes et associait l'expansion indo-européenne à celle d'un peuple de cavaliers pasteurs appartenant à la civilisation dite des Kourganes (Ukraine). La seconde, défendue par Colin Renfrew, plaçait l'origine des langues indo-européennes en Anatolie (Turquie), et liait leur diffusion à celle des premiers peuples agriculteurs. Toutefois, la datation du début de cette migration ancienne (- 8 000 à - 9 500 ans) ne correspondait guère avec les évaluations des linguistes concernant l'âge de la langue-mère indo-européenne : tout au plus 5 000 à 6 000 ans.
Deux chercheurs de l'université d'Auckland (Nouvelle-Zélande) viennent d'apporter de l'eau au moulin de la thèse anatolienne. Russell Gray et Quentin Atkinson ont, sur la base de 2 449 cognats lexicaux relevés dans 87 langues (dont trois éteintes), produit un nouvel arbre phylogénétique des langues indo-européennes. Or, cet arbre fait remonter la première divergence reconnue (celle du hittite) à - 7 800 ans, et peut-être plus tôt encore. Ce qui signifie que la langue-mère aurait pu être parlée en Anatolie il y a 8 000 à 9 000 ans, puis diffusée en même temps que l'agriculture dans toute l'aire actuellement occupée par la famille des langues indo-européennes, du Bengale à l'Islande.
La nouveauté de ce résultat ne tient pas au renouvellement des données, mais à l'application d'un algorithme généralement utilisé en génétique pour évaluer la proximité de différents génomes et situer leur divergence sur une échelle de temps.
Cette méthode de datation est considérée plus fiable que celle pratiquée par les linguistes (glottochronologie). Ce résultat sera-t-il suffisant pour trancher le débat ?
On peut en douter, au vu des enjeux toujours vifs que soulève la localisation des sources de « notre civilisation ».
Références
R. Gray et Q. Atkinson, « Language-tree divergence times support the Anatolian theory of Indo-European origin », Nature, n° 426, 27 novembre 2003.