Aux sources du malentendu

Pour la pragmatique, le discours n'acquiert un sens que dans des situations de communication. Elle s'intéresse donc à la fois à son contenu et aux informations implicites véhiculées par le contexte.

Le malentendu est un phénomène propre à la communication plutôt qu'au langage lui-même. C'est en effet dans l'usage du langage pour la communication humaine qu'il se manifeste. Dès lors, l'étude de la communication langagière, ou pragmatique, se doit de produire une description des processus qui y sont impliqués, qui explique aussi bien l'échec que le succès des échanges.

On a longtemps considéré que l'on pouvait rendre compte de la communication langagière sur le modèle du code. Dans cette optique, directement héritée de la théorie de la communication 1, le locuteur - la personne qui parle - entend communiquer une pensée - son message. Cette pensée est encodée linguistiquement dans une phrase, livrant un signal acoustique, transmis par voie aérienne et reçu par l'interlocuteur - la personne à qui l'on parle. Ce signal est ensuite décodé linguistiquement pour livrer le message. Le langage est donc conçu comme un code transparent, et la production et l'interprétation des phrases sont ramenées à de simples processus d'encodage-décodage. La seule interférence possible serait le bruit qui perturbe la transmission du signal acoustique.

Une conversation radio reçue 5 sur 5 !

Si cette vision du fonctionnement de la communication langagière était exacte, ce serait aussi la seule source possible de malentendu. Or, c'est loin d'être le cas, comme le montre l'exemple ci-dessous, supposé être la traduction de la transcription d'une conversation radio entre Américains et Canadiens (largement diffusée sur le réseau électronique Internet à cause de son caractère comique) :

Américains « Veuillez vous dérouter de 15 degrés Nord pour éviter une collision. À vous. »

publicité

Canadiens : « Veuillez plutôt vous dérouter de 15 degrés Sud pour éviter une collision. À vous. »

Américains : « Ici le capitaine d'un navire des forces navales américaines. Je répète : veuillez modifier votre course. À vous. »

Canadiens : « Non, veuillez vous dérouter je vous prie. »

Américains : « Ici le porte-avions USS Lincoln, le deuxième navire en importance de la flotte navale des Etats-Unis d'Amérique. Nous sommes accompagnés par trois destroyers et un nombre important de navires d'escorte. Je vous demande de vous dévier de votre route de 15 degrés Nord ou des mesures contraignantes vont être prises pour assurer la sécurité de notre navire. À vous. »

Canadiens : « Ici, c'est un phare. »

Dans cet exemple, le malentendu naît d'une divergence entre les informations des interlocuteurs : les Américains ignorent que leurs interlocuteurs ne sont pas, comme ils le sont eux-mêmes, en mer, mais sur terre, dans un phare. D'où leur insistance, passablement arrogante, pour que les Canadiens se déroutent. Rien ne permet de dire si cet échange est authentique. Reste cependant que, dans cet exemple, le malentendu existe et qu'il n'est en rien dû à un bruit gênant la transmission du signal. Qui plus est, le théâtre classique fourmille de scènes qui reposent sur un malentendu - volontaire ou involontaire - à tel point que ce ressort comique a reçu, dans la dramaturgie classique, le nom de quiproquo.