Bahreïn : une longue tradition contestataire. Rencontre avec Laurence Louër

Le mouvement de contestation au Bahreïn a parfois été présenté comme le soulèvement d’une majorité chiite opprimée par la dynastie régnante sunnite des Al Khalifa. De là à voir la main de l’Iran derrière les manifestations au Bahreïn, il n’y a qu’un pas… Cette interprétation est fausse, explique Laurence Louër, chercheuse en sciences politiques, qui insiste sur les dynamiques internes pour expliquer les mobilisations dans le petit État du Golfe.

La discrimination à l’égard de la population chiite du Bahreïn explique-t-elle le mouvement de contestation ?

La question chiite est un aspect de la contestation au Bahreïn, mais pas le seul. Trois éléments doivent être pris en compte pour comprendre la situation actuelle. D’abord, une culture de la contestation de masse ancienne au Bahreïn : depuis les années 1930, correspondant aux débuts de l’industrie pétrolière dans le pays, de nombreux soulèvements ont eu lieu pour demander l’amélioration des conditions de travail dans ce secteur. Il y eut aussi des protestations contre la colonisation. Bahreïn a en effet été un protectorat britannique jusqu’en 1971. Les protestataires demandaient la démocratie, notamment l’établissement d’un Parlement, obtenu en 1973.

Ensuite, à partir des années 1990, l’économie du Bahreïn, comme ce fut le cas dans l’ensemble du Moyen-Orient, entre en récession : en cause, la chute des prix du pétrole, conjuguée à l’explosion démographique. Dès lors, le pacte social qui est au fondement des régimes dans le monde arabe, et au Bahreïn en particulier, s’effondre. Ce pacte de redistribution, basé sur la garantie d’un emploi dans le secteur public pour tous les diplômés, cesse de fonctionner car le secteur public ne peut plus absorber cette main d’œuvre. Parallèlement, les nouveaux entrants sur le marché du travail ne parviennent pas à s’insérer dans le secteur privé.Dans les monarchies voisines du Golfe, l’insertion professionnelle des jeunes est d’autant plus difficile que le secteur privé est dominé par une main d’œuvre expatriée bon marché, corvéable à merci en raison d’un code du travail peu protecteur. Les mobilisations de la décennie 1990 ont donc été menées par de jeunes précaires ou chômeurs.