Birgitta Orfali : Les ressorts psychologiques de l'adhésion

Pour quelles raisons un individu adhère-t-il à tel ou tel groupe, qu'il s'agisse d'un parti politique, d'une association à vocation humanitaire ou d'un club de football ? L'influence d'autres individus est-elle centrale dans le processus d'adhésion ? Telles sont les questions que posent Birgitta Orfali, maître de conférences à l'Université Paris Descartes, dans son dernier ouvrage L'adhésion. Militer, s'engager, rêver (Éditions De Boeck, 2011). Auteure de plusieurs enquêtes sur les militants frontistes, elle étudie l'engagement dans une optique psychosociologique.

L’adhésion au groupe passe par autrui : c’est l’une des idées fortes de votre ouvrage. Mais quelle est alors la place des idées, des convictions personnelles de l’individu lorsqu’il adhère à un groupe, à un parti politique par exemple ?

Même si les idées existent et apparaissent essentielles dans la décision d’adhérer, l’adhésion passe par la communication : c’est en confrontant son point de vue à l’autre que l’individu se rend compte de la nécessité de s’affilier. J’ai réalisé deux enquêtes, en 1984 et 2004, auprès d’adhérents du Front national pour étudier leur itinéraire politique. Le FN me paraît un microcosme intéressant pour illustrer les ressorts psychosociologiques de l’adhésion.

L’hypothèse au départ de mes recherches sur le FN était que la croyance, la conviction étaient au cœur de l’adhésion à un parti extrémiste. Je pensais en effet que si des gens adhéraient à un parti extrémiste, c’était qu’ils étaient fortement convaincus par ses idées. Or, les adhérents observés se sentaient impuissants face aux changements de la société, à la crise économique, sociale, et ne trouvaient pas de réponses à ces difficultés dans les partis politiques habituels. Ils franchissaient le pas d’une adhésion à l’extrême droite car pour eux, c’était marquer un engagement plus fort.

Il est surprenant de constater qu’il y a de nombreuses "premières adhésions" au FN : alors qu’ils n’ont jamais adhéré à un parti politique auparavant, certains individus se tournent vers un parti extrémiste pour une première adhésion. Les nouveaux adhérents que j’ai pu rencontrer exprimaient tous un sentiment de soulagement une fois qu’ils avaient intégré le parti. C’est en voyant que des adhérents avaient osé s’affranchir de la stigmatisation qu’implique l’appartenance à ce parti que certains individus l’ont à leur tour intégré. Leur adhésion au parti leur a donné le sentiment de trouver des réponses, même si elles sont réductrices. Parmi les militants frontistes, il y a un sentiment d’appartenance à une même « famille ». L’adhésion passe par la recherche d’un autre semblable.

Certains individus adhèrent à des groupes qui ne leur correspondent pas a priori. Vous employez l’expression d’"adhésion paradoxale" pour identifier le phénomène. Comment expliquer ce type d’adhésion ?

Ce type d’adhésion pose problème car il s’agit d’une affiliation "contre nature". Pour reprendre l’exemple du FN, il est difficilement compréhensible que des Antillais ou des personnes de confession juive adhèrent à ce parti réputé raciste, antisémite. Des femmes adhèrent aussi à ce parti réputé machiste, et on rencontre également des ouvriers parmi les adhérents du FN : il est même devenu le premier parti ouvrier de France.

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Recourir à la notion d’adhésion paradoxale me semble pertinent pour saisir comment cette affiliation, a priori improbable, va annuler des stigmatisations premières relatives au groupe d’origine, qu’il soit ethnique, religieux, ou encore statutaire, de genre. Au lieu de vivre une stigmatisation à cause de leur groupe d’appartenance (relatif au genre, à la religion, etc.), en choisissant d’appartenir à un parti d’extrême droite, ces individus vont dorénavant être stigmatisés pour leur appartenance politique : il y a une forme de transfert dans la stigmatisation.