Il faut bien dire une chose : Blaise Pascal dérange. D’aucuns l’abandonneraient volontiers aux pages jaunies d’un Lagarde et Michard, lui reconnaissant certes un style admirable mais ne sachant trop quoi faire d’une pensée habitée par la foi. Ne doit-on voir en Pascal que le modèle achevé de l’écriture classique ? Rien n’est moins sûr car c’est faire fi, à bon compte, d’une réflexion profonde sur la condition humaine, sur les limites de la raison, sur le relativisme de la justice et du droit, ou sur les sciences dans lesquelles il excellait.
« Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années », écrivait Pierre Corneille. Qui saurait mieux illustrer cette maxime que Pascal, son contemporain. Né en 1623 à Clermont-Ferrand, le jeune Blaise est éduqué par son père, magistrat féru de mathématiques, et montre d’étonnantes capacités. À 11 ans, il compose un Traité sur les sons ; à 16 ans, un Essai sur les coniques ; à 19 ans, il invente la pascaline, l’une des premières machines à calculer ; à 25 ans, il fait réaliser par son beau-frère, Florin Périer, la célèbre expérience du puy de Dôme qui prouve la pesanteur de l’air et l’existence du vide… Avant de devenir, avec Pierre de Fermat, l’inventeur du calcul des probabilités.
Et la révélation survint !
Pourtant, ce brillant scientifique se défie de la seule raison. À l’occasion d’un accident de son père soigné par deux médecins convertis, Pascal et sa famille découvrent peu à peu un christianisme plus rigoureux, celui de Port-Royal, inspiré par la pensée de Jansénius. La nuit du 23 novembre 1654, Pascal fait une expérience mystique qui changera radicalement son existence. Dans le feu de cette révélation, il note un Mémorial qu’il gardera désormais jusqu’à sa mort cousu dans la doublure de son vêtement. Cet épisode le conduit à approfondir son engagement religieux. Le christianisme de Port-Royal, décrié par les jésuites, est menacé et l’un de ses plus brillants représentants, Antoine Arnaud, est attaqué par la Sorbonne. C’est ce qui décide Pascal à publier sous un pseudonyme des lettres, Les Provinciales (1656-1657), modèle de rhétorique et d’éloquence, qui défendent Arnaud, attaquent les jésuites et font scandale. Mais sa foi ardente le conduit à un plus ambitieux projet : composer une apologie de la raison chrétienne, que sa mort précoce en 1662 l’empêchera d’achever et dont les fragments constituent les célèbres Pensées publiées après sa mort.