Pierre Bourdieu fait partie de ce cercle restreint d’intellectuels dont les travaux et la parole résonnent un peu partout dans le monde. Une étude exhaustive de Gisèle Sapiro et Mauricio Bustamante a montré que les ouvrages du sociologue français ont été traduits dans 42 pays et 34 langues, de l’anglais au chinois en passant par le galicien. Les deux chercheurs montrent que cette circulation ne s’est pas faite de manière homogène dans le temps, et distinguent essentiellement deux phases. Avant 1996, la réception internationale de Bourdieu (mesurée par les traductions de ses ouvrages) est essentiellement académique, et éclatée : à chaque spécialité son Bourdieu. Ce sont d’abord les chercheurs en éducation qui jettent leur dévolu sur Les héritiers (co-écrit avec Jean-Claude Passeron). Puis les anthropologues anglo-saxons se mettent à discuter de ses travaux sur la pratique (esquisse d’une théorie de la pratique ; le sens pratique). Au début des années 1980, L’Italie et l’Allemagne sont enfin les premiers à faire traduire ses travaux sur la culture et les intellectuels (La Distinction ; L’amour de l’art). Durant les années 1981-1995, P. Bourdieu étend son influence : le nombre de pays dans lequel il est traduit passe de 9 à 26.
Mais cette diffusion internationale va prendre une autre dimension à partir de 1996. G. Sapiro et M. Bustamante montrent en effet qu’à compter de cette date sa réception est beaucoup plus intense : deux-tiers des traductions de ses ouvrages sont faites après cette date. Elles se font aussi beaucoup plus rapidement : les nouveaux livres qu’il publie sont traduits sous trois ans en moyenne (8 ans avant 1995). C’est le moment où P. Bourdieu donne une dimension publique plus forte à son engagement politique (grèves de décembre 1995), ce qui se traduit également éditorialement avec la multiplication de livres d’intervention, qui se traduisent comme des petits pains. Sur la télévision (1995) est ainsi son livre le plus traduit (25 langues, 27 pays), suivi de La Domination masculine (1998), Les règles de l’art (1992), Raisons pratiques (1994), tous ouvrages publiés, on le voit, au cours des années 1990. P. Bourdieu n’est plus seulement un sociologue de renom, c’est un « global thinker » dont l’œuvre déborde le champ académique pour imprégner le champ intellectuel et les mouvements sociaux.