LA zone du langage
En 1861, à l’hospice de Bicêtre, un certain M. Leborgne, dont l’histoire n’a pas retenu le prénom, sent que ses jours sont comptés. Voilà dix ans que ce quinquagénaire, ancien concepteur de forme pour des chapeaux et des vêtements, souffre d’hémiplégie. Son état général périclite au point qu’il devient difficile de s’entretenir avec lui, puisqu’il n’est plus capable de prononcer que la syllabe « tan, tan ». Ce qui lui vaut son surnom de M. Tan, ou Tan-Tan, auprès du personnel. Récemment affecté dans l’établissement, le médecin Paul Broca (1824-1880) le rencontre avec grand intérêt. Quelques jours plus tôt, lors d’un débat de la Société d’anthropologie qu’il a d’ailleurs fondée lui-même en 1859, Broca avouait se languir d’une opportunité clinique qui permettrait la localisation cérébrale précise d’une grande fonction humaine comme le langage. Et voici Tan-Tan ! Qui meurt moins d’une semaine plus tard. Lors de son autopsie, Broca constate une lésion massive au pied de la troisième circonvolution du lobe frontal gauche (que l’on appelle aujourd’hui l’aire de Broca), et en fait le siège probable du langage articulé. L’événement est considéré comme l’acte de naissance officiel de la neuropsychologie, discipline mettant en relation fonctionnement cérébral et production de nos comportements ou de nos pensées, y compris dans leurs aspects pathologiques. Broca lui-même a du mal à croire à sa découverte qui signerait également une latéralisation hémisphérique du langage. Pas de conclusions hâtives !
• Paul Monod-Broca, , Vuibert, 2005. • Hugues Duffau, . Michel Lafon, 2016.