Un enfant peut-il devenir un monstre aux yeux de ses parents aimants, qui l’ont pourtant désiré avec force et donneraient leur vie pour lui ? Indéniablement, oui ! En 2011, Stéphanie Allénou, éducatrice spécialisée très en prise avec les enfants et mère, entre autres, de jumeaux, décrivait l’enfer par lequel elle était passée dans son ouvrage Mère épuisée (Les liens qui libèrent, 2011) : « Je ne vois que des petits tortionnaires qui mettent en danger ma survie. Les cris des enfants provoquent des accélérations de mon rythme cardiaque. Même quand ils jouent, j’attends avec angoisse le moment où ils vont commencer à se chamailler. Et quand ils se disputent, je n’ai qu’une idée en tête : les faire taire. En bref, je ne les supporte plus. (…) Parfois, je hurle à m’en casser la voix : ‘‘ARRETEZ ! STOP !’’ Je les attrape et les tape sur les cuisses, les fesses. J’ai l’impression que rien ne peut me retenir. Je veux absolument qu’ils arrêtent, que tout arrête ! (…) Le plus difficile est de commencer la journée. Je me réveille en proie à l’angoisse. Je n’ai pas la force d’y aller. Je ne veux plus de ces contraintes horaires, de ce bruit, de ces affrontements, de ces gestes cent fois réitérés. Je ne veux même plus voir mes enfants. »
Un phénomène sociologique ?
Très différent d’un baby blues ou d’une dépression post-partum boostés par la chute des hormones après l’accouchement, le burn-out parental ne survient pas forcément au retour à la maison avec bébé. Il peut arriver alors que l’enfant ou les enfants soient beaucoup plus grands, voire adolescents. Liliane Holstein, psychanalyste, analyse ce phénomène en pleine explosion dans son dernier ouvrage, Le Burn-out parental (Éditions Josette Lyon, 2014). Elle a décidé d’écrire le jour où un parent, en consultation dans son cabinet, lui avoua qu’il aimait regarder ses enfants dormir parce que c’était le moment où il avait l’impression de les aimer encore un peu. Elle s’émeut de l’ampleur du phénomène, qui dépasse aujourd’hui largement l’épuisement maternel dont on parlait déjà depuis quelques années : « Il y a encore dix ans, on avait un cas par mois au milieu des autres pathologies. Maintenant, le burn-out parental représente un tiers de nos consultations. J’entends tous les jours des parents qui me disent : « Si je pouvais le jeter, si je pouvais le donner, l’oublier à l’école… » J’entends des choses énormes ! Étonnamment, les pères viennent beaucoup consulter en premier. On les voit arriver dépressifs, tristes, pleurant beaucoup, totalement défaits, avec l’impression que leur vie leur échappe complètement, qu’elle n’a rien à voir avec ce qu’ils espéraient. Ils viennent surtout pour nous parler de l’éloignement dans leur couple. Ils ont l’impression que leur femme les considère comme faisant partie du décor, sont complètement dévouées aux enfants, à une multitude de choses sauf à leur couple et que les enfants, en plus, sont entraînés dans ce tourbillon. Leurs femmes, perfectionnistes et anxieuses, s’occupent à outrance des enfants. C’est une forme d’antidépresseur naturel mais catastrophique au final. Elles sont souvent dans le déni de leur épuisement, de leur tristesse à vivre de cette manière, et elles anesthésient leur douleur psychique en continuant à gérer de façon démentielle tous les paramètres concernant les enfants et la famille. Et puis un jour, elles s’arrêtent net, elles ne peuvent plus bouger. C’est le burn-out. » Mais pourquoi ces femmes placent-elles la barre si haut ? Que s’est-il passé pour qu’on en arrive là ? Et pourquoi cette tendance s’est-elle généralisée ? Liliane Holstein y voit, clairement, un signe des temps : « D’un point de vue sociologique, on est à une charnière de la vie de nos sociétés occidentales modernes où après avoir passé 30 ans à courir après la réussite, les gens n’en peuvent plus, ils sont au maximum de ce qu’ils peuvent supporter neurologiquement. Entre la pression dans les entreprises et la pression de faire mieux que les générations passées, ça devient délirant. Nous avons un système nerveux qui ne peut pas supporter au-delà de certaines limites tout ce qui nous est envoyé à longueur de journée. On est bombardé d’informations au quotidien, à chaque seconde, il y a réellement un épuisement avec une culpabilité si l’on ose ne pas tenir la route. Cette culpabilité est terrible, au niveau professionnel, au niveau social, au niveau des enfants, de la vie de tous les jours. Je reçois à longueur de temps des gens qui ne savent plus par quel bout prendre leur vie. »