Catégorie : « travailleurs pauvres » ?

Travailleur et pauvre, voilà qui semble contradictoire, en tout cas d'un point de vue moral. Et pourtant... Née aux Etats-Unis dans les années 60, la question des « poor workers » y devient un thème central dans les années 80 dans un contexte économique de récession et de restriction de l'action publique. Il faut attendre les années 90 pour voir apparaître en France dans le débat politique cette catégorie au moment où l'on s'interroge sur les risques de « désincitation » au travail que véhiculeraient les aides sociales. Or, comme le note l'économiste Sophie Ponthieux, chargée de mission à l'Insee, « alors que les femmes ont en moyenne un risque de pauvreté égal à celui des hommes [...] et représentent une vaste majorité des travailleurs dont les caractéristiques d'emploi sont défavorables, la majorité des travailleurs pauvres sont des hommes ». Pourquoi ?

La catégorie du « travailleur pauvre » est en fait complexe parce qu'elle croise deux échelles : en termes statistiques, le travail renvoie au statut d'individu, alors que la pauvreté se réfère au niveau de vie des ménages. « Le problème est [...] qu'une large part des actifs, dont les conditions d'emplois sont loin d'une norme d'emploi stable à temps complet, échappe à la mesure et que dans ces actifs une large part sont des femmes. » Parce que les salaires des individus se trouvent dilués dans le niveau des ménages, la dégradation de la norme d'emploi n'est en effet pas toujours visible. Un bas salaire féminin s'ajoutant à un salaire du conjoint un peu plus élevé peut suffire pour un ménage à dépasser le seuil de pauvreté en dépit d'une réelle fragilité, notamment en cas de perte d'emploi du conjoint.

Bref, la notion de travailleur pauvre, si elle est importante dans le débat social pour montrer que la pauvreté ne résulte pas toujours de l'exclusion du marché du travail, s'avère être une catégorie statistique hybride et insatisfaisante.