Ce qu'on se dit au lit... Entretien avec François Perea

Pendant la bagatelle, il y en a qui ahanent, qui hoquettent, qui soupirent, qui gémissent et qui crient… Et il y en a qui parlent. En tout cas, qui articulent quelque chose. Mais quoi ?


> François Perea.

Maître de conférences en sciences du langage à l’université Paul-Valéry Montpellier III, il a publié Le dire et le jouir. Ce qu’on se dit au lit (La Musardine, 2017).


Ma première question va être un tue-l’amour, puisqu’elle porte sur les méthodes employées dans vos recherches : comment sait-on ce que les gens se disent au lit ?

C’est bien toute la difficulté, ce qui explique sans doute que si peu d’études aient été consacrées au sujet : comment observer ce qui se passe normalement quand on n’est pas là ? On est un peu obligé de tricher, en tout cas de se reporter à des corpus de seconde main. Il faut tout un ensemble d’artifices pour atteindre le cœur du sujet.

On n’interroge pas les couples directement ?

Les entretiens empêchent d’avoir accès à ce que les gens font sans en avoir conscience parfois. Pour cet ouvrage, je me suis appuyé sur les productions pornographiques parce qu’elles ont un lien culturel avec ce qui se passe réellement au lit, et aussi sur des enregistrements effectués dans l’intimité puis diffusés dans des cercles restreints sur Internet, mais auxquels on a bien voulu me donner accès.

Peut-on se fier à ce qui n’est peut-être qu’une mise en scène pas naturelle du tout, puisque les protagonistes savent qu’ils vont être jugés par des spectateurs ?

Pour une partie très précieuse de ce corpus, les gens qui s’étaient enregistrés n’avaient pas l’intention de rendre le document public. Quant à la dimension scénique dans l’intimité, y a-t-il vraiment une frontière étanche entre le comportement ordinaire et les versions filmées ou médiatisées ? Toute la question est là. On ne se la pose pas pour un film policier : il y a une part d’ancrage dans la réalité que l’on connaît, et bien entendu une part de fiction, voire d’exagération. C’est le sort de toute fiction humaine.

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Alors, que se dit-on au lit ?

En tout cas, on exprime beaucoup de choses variées et différentes selon ce que l’on y fait. Au fur et à mesure que croît l’acte sexuel et que l’on approche de sa résolution, les paroles se raréfient au profit de râles, de cris, éventuellement de hurlements, avec des styles très personnels, et également de ce qu’on appelle du dirty talk, c’est-à-dire des insultes, des injures, bien entendu vidées de tout contenu réellement agressif.

On exerce donc de moins en moins de contrôle…

Et puis on est de plus en plus occupé à autre chose ! Mais ça dépend de ce que l’on fait, du rôle que l’on a. Car en même temps que l’expression des émotions il existe des formes de script culturel qui font que, de la même façon qu’on ne se salue pas n’importe comment dans une culture, on ne s’exprime pas n’importe comment au lit. Ces scripts ont des fonctions de coordination, de régulation et de guidage dans l’action du couple. Ils portent moins sur le contenu de la parole que sur la qualité de ce qui s’exprime, même à travers des cris ou hurlements. En gros, quels que soient les profils des couples que l’on rencontre, hétérosexuels ou homosexuels, il existe un rapport étroit entre l’acte réalisé et le type de production. On peut distinguer à chaque fois des rôles différenciés qui peuvent bien entendu s’inverser, mais où celui qui se trouve le plus dans l’action physique produit moins d’expression que l’autre protagoniste, celui qui est pénétré par exemple. Par le nombre et l’intensité des cris, la personne informe de ce qu’elle ressent et donne des indices sur la façon dont l’acte doit se poursuivre. Si le rôle s’inverse, le pénétré devient beaucoup moins loquace en pénétrant. Finalement, ces productions ne sont pas très originales : elles remplissent la même fonction de régulation de l’action que le langage au quotidien.