Il est des maladies physiques qu’on associe à l’inguérissable. Ainsi du diabète, avec lequel il faut, bon gré mal gré, apprendre à vivre : on ne cesse pas d’être diabétique. On apprend à se faire sa piqûre d’insuline quotidienne seul et à ne pas manger certains aliments. Mais peut-on apprendre à vivre avec sa schizophrénie ou ses troubles obsessionnels compulsifs (TOC) comme on vit avec son diabète ?
C’est en tout cas ce que postulent les mouvements proches du Recovery qui ne parlent plus de « malades » mais d’« usagers en santé mentale » dont les « symptômes » (entendre des voix, présenter des troubles du spectre autistique, avoir des TOC de lavage, etc.) sont envisagés comme une modalité existentielle. Ici, il ne s’agit plus de chercher à guérir mais de faire avec ce qui ne guérit pas.
« J’ai été malade dans une autre vie »
D’autres maladies physiques, cancers dont le taux de rémission avoisine à peine les 2 %, tumeurs au cerveau inopérables, quand elles surviennent dans la vie d’un individu, font surgir la question d’un inguérissable qui mènera à une mort prochaine. Les malades doivent composer avec cette angoisse. Rien de commun toutefois avec l’angoisse de l’hypocondriaque, réputée difficilement guérissable : pourtant physiquement bien portant, celui qui se sent persécuté sans cesse par son organe (la tête, le ventre, le cœur) qu’il suppose malade au point qu’aucun discours médical ne vient le guérir de sa conviction, délirante, qu’il va mourir bientôt.
Certaines autres affections physiques surviennent à la suite d’un accident : accident vasculaire cérébral (AVC) qui laisse des séquelles, accident de la route dont on survit, mais en ayant perdu l’usage de ses membres inférieurs. Mais comment vivent les personnes après une dépression sévère (anciennement mélancolie) qui les a conduites à une hospitalisation, des traitements médicamenteux lourds, voire de la sismothérapie (électrochocs) ? Certains individus, qui n’ont pas fait de rechute, témoignent qu’ils ont récupéré toutes leurs facultés, voire que leur vie est bien plus riche et heureuse qu’avant, mais que l’effondrement dépressif fut comme dans « une autre vie » – ce qui suppose alors qu’avant de guérir ils ont été, symboliquement, laissés pour morts. D’autres font état du fait que cet effondrement fut, dans leur trajectoire de vie, comme une « cassure », une « brisure », et que, depuis, s’ils n’ont pas forcément rechuté, ils n’ont pas récupéré l’intégralité de leurs facultés cognitives, de leur goût pour la vie, ou de leur intérêt pour ce qui, auparavant, retenait toute leur attention (l’amour, les amis, le travail…)