Le peuple français est souvent décrit comme indiscipliné – parfois pour le déplorer par contraste avec le sens de la discipline dont seraient dotés des pays voisins, en Europe du Nord – ou comme insoumis – souvent pour l’en louer, en remontant à l’acte fondateur de son histoire moderne : la Révolution. Admirateur du rôle du peuple français dans l’histoire de l’émancipation, Karl Marx voyait en même temps la France de 1789 comme le foyer de « l’illusion politique », d’une croyance idéaliste en la toute-puissance de la volonté. Les gouvernants auront plutôt tendance à se plaindre de la difficulté à gouverner ce peuple de « Gaulois réfractaires au changement », selon une formule de l’actuel président de la République. Cette plaisanterie semblait renvoyer à des facteurs religieux puisqu’elle évoquait par contraste les Danois, « peuple luthérien », chez qui Emmanuel Macron se trouvait alors en visite en 2018. La comparaison des histoires confessionnelles et politiques a en effet pu faire dire que les pays réformés (protestants) étaient plus naturellement réformistes, tandis qu’en France, catholique et révolutionnaire, les changements politiques avaient tendance à prendre la forme d’affrontements entre deux France, traditionnelle versus moderne. Mais l’invocation du Gaulois, antérieur à cette histoire confessionnelle, semblait plutôt s’ancrer dans la culture populaire – le « village irréductible » d’Astérix !
Quoi qu’il en soit, avec la vision de K. Marx et la plaisanterie d’E. Macron, on retrouve deux interprétations classiques de la difficulté à gouverner le peuple français. L’une qui insiste sur le passé révolutionnaire prêt à ressurgir à la faveur des conflits politiques ; l’autre qui fait plutôt état d’une résistance des mentalités aux processus d’adaptation obligée à la mondialisation, aux transformations du monde économique en particulier – suivant le mot d’ordre dominant du néolibéralisme : « Il faut s’adapter » 1. Mais que valent ces hypothèses ?