Plus encore qu'un livre théorique, Bruno Latour signe ici un manifeste qui ne manquera pas d'agacer maints sociologues.
A son habitude, le dérangeant trublion n'y va pas avec le dos de la cuillère. En point de mire, Emile Durkheim et tous ses héritiers. Principale erreur : croire que le social existe en lui-même, tel un matériau ou un domaine spécifique. A cette « sociologie du social », B. Latour oppose une sociologie des associations, plus apte à suivre la fluidité et le mouvement des liens et des connexions qui se créent entre les acteurs. Il se réclame en effet de la « sociologie de l'acteur-réseau » (plus connue en anglais sous l'acronyme ANT) qui, outre son attention à des regroupements collectifs toujours mouvants, se caractérise par le fait qu'elle intègre à la théorie sociale les non-humains (qu'il s'agisse de coquilles Saint-Jacques ou de microbes), considérés comme des acteurs à part entière.
Pour B. Latour, « loin d'être une denrée stable et certaine, le social n'est qu'une étincelle occasionnelle produite par le glissement, le choc, le léger déplacement d'autres phénomènes, non sociaux. » Reprochant en particulier à la sociologie critique de prétendre parler à la place des acteurs, il réhabilite la description au détriment de l'explication.
Mais il n'est pas toujours commode pour le lecteur de comprendre ce que donnerait concrètement cette sociologie de l'acteur-réseau. Rien de plus normal, semble-t-il. A la manière des dialogues philosophiques, B. Latour livre une désarmante discussion entre « L'étudiant » et « Le professeur ». L'étudiant cherche à comprendre ce qu'est l'ANT et surtout à l'appliquer. Peine perdue. « L'ANT constitue avant tout un argument négatif. Elle ne dit rien positivement sur quoi que ce soit », explique le professeur à l'étudiant perplexe. Elle ne dit pas tant comment il faut étudier les choses, que la façon dont il ne faut pas les étudier.
Décevant, jugeront sans doute certains. Reste en tout cas un livre stimulant qui réinterroge avec beaucoup de fraîcheur les principaux présupposés de la sociologie.