Ses contemporains le prenaient volontiers pour un fou. Plus circonspect, Karl Marx n’en voulut pas moins lui régler son compte. Il le classa parmi les « utopistes », ces penseurs fantasques qui annonçaient le socialisme mais manquaient singulièrement de sérieux. C’est ainsi que l’on considéra Charles Fourier comme l’un de ces auteurs pittoresques, dont les lubies agrémentent le lourd ciel des idées. Fourier, lui, se voyait comme le Isaac Newton des passions humaines.
Ce fils de négociant, né à Besançon en 1772, aurait voulu consacrer sa vie à ses idées sur la société. Devenu caissier par la force des choses, ce n’est que par intermittence que, en autodidacte, il donnera libre cours à sa plume. En 1808 paraît la Théorie des quatre mouvements, le premier exposé de son « attraction passionnée », librement inspiré de la physique newtonienne. Il ne saurait y avoir, avance Fourier, d’ordre social harmonieux que celui capable d’agencer la pluralité des passions humaines.
Amoureux des nombres, Fourier recense douze passions, depuis les « sensitives » (les cinq sens) et les « affectives » (amitié, amour, ambition et goût de la famille) jusqu’aux « distributives ». Hommes et femmes, observe-t-il, sont animés d’une passion « papillonne » qui les incite à préférer la variété en toutes circonstances. La « composite » n’est pas en reste, qui les incline au plaisir des sens, pendant que la « cabaliste » leur instille le goût de la conspiration et de l’action en groupe. Tous ces penchants peuvent-ils coexister de manière harmonieuse ? Certes pas dans les sociétés existantes, estime Fourier. Car celles-ci cantonnent le désir sexuel dans la monogamie, enferment le travail dans la répétitivité, dressent l’ambition contre l’amour et l’amitié.