Cinquante nuances de sociétés

Mythanalyse de la couleur, Hervé Fischer, Gallimard, 2023, 432 p., 35 €.

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Professeur et artiste (le Centre Pompidou lui a consacré une rétrospective), Hervé Fischer livre une suite à son Couleurs de l’Occident. De la préhistoire au 21e siècle (2019), qui examinait la maîtrise symbolique « du langage des couleurs » par les instances religieuses et politiques en Europe. Dans ce nouvel ouvrage, il élargit cette démarche à différentes cultures du monde. Subsumées en « un discours codé », explique-t-il, les « couleurs ont des fonctions d’intégration et de discrimination ». Les ethnologues ont documenté la « quasi-universalité d’une organisation des couleurs selon les points cardinaux », liée la cosmologie et à une organisation sociale donnée en castes, clans ou ordres. Il en conclut que « le but de cette élaboration était évidemment le maintien de l’ordre social auquel veillait la caste sacerdotale ». Le « système chromatique » étant « la visualisation de l’institution sociale elle-même », il devrait être prévisible à partir d’une analyse de la société, et réciproquement. H. Fischer développe alors la thèse que « plus l’usage des couleurs serait ouvert et désordonné, plus la société serait “libre” ; plus cet usage serait rigide et codifié, plus la société serait régulée et corsetée. » Née avec le romantisme et radicalisée par les peintres fauvistes, l’« idéologie individualiste des couleurs reflète l’émergence de l’idéologie bourgeoise individualiste », tout comme celle des « révolutionnaires, utopistes et anarchistes ». Il note néanmoins qu’aujourd’hui « notre indicateur sociochromatique montre une tendance à une restructuration autoritaire et mondiale de la société urbaine de masse à l’âge du numérique ». La thèse mériterait d’être creusée. Par ailleurs, si « la nuit renvoie toujours à la féminité », on s’étonne qu’avec son éblouissante érudition, le créateur de la mythanalyse note qu’« il n’y a aucun lien qui puisse être décelé dans ce rapport (…), sinon peut-être le désir d’une relation sexuelle ». Françoise Héritier n’a-t-elle pas suffisamment montré que le terme dévalorisé d’une opposition simple (comme nuit/jour) est toujours attaché au féminin ?