L’orthographe, et les cruelles dictées censées l’évaluer, ont toujours été un pensum pour les écoliers français, voire aussi pour un bon nombre d’adultes. Ces dernières décennies, la multiplication des supports de l’écrit, viales écrans et les nouvelles technologies de la communication, ont aussi fait éclater au grand jour une dégradation certaine de l’orthographe. Dégradation attestée d’ailleurs depuis une vingtaine d’années dans les établissements scolaires par les évaluations ministérielles. Ces constats amènent à réfléchir sur les difficultés du système orthographique.
Pourquoi écrire le français est-il si compliqué ? Quelles sont les capacités mises en œuvre dans l’apprentissage de la langue écrite ? Comment aider les élèves à mieux acquérir l’orthographe ?
Le français, c’est compliqué !
En français, les mots ne renvoient pas directement au sens, comme le ferait un dessin : ils ne le font qu’en transitant par la transcription de la parole. Comme dans tous les systèmes alphabétiques (1), des correspondances systématiques existent entre des lettres ou des graphèmes (2) (/ch/ ou /gn/) et les unités sonores (les phonèmes (3)). Dans un système idéal, un phonème correspondrait à une seule lettre, et inversement : en italien par exemple, le phonème /o/ s’écrit toujours « o ».
Mais aucun système orthographique réel n’est véritablement idéal. Certains s’en rapprochent, par exemple ceux du finlandais ou de l’espagnol, d’autres s’en éloignent fortement, comme ceux du français et de l’anglais. Dans ces deux langues, à une même lettre peuvent correspondre plusieurs prononciations : par exemple, « c » se prononce tantôt /s/ (celle) tantôt /k/ (car), voire ne s’entend pas (tabac, croc). Cette situation rend complexe la lecture. Réciproquement, à un même phonème peuvent être associées plusieurs configurations sonores : ainsi, le son /ou/ se transcrit toujours « ou » (chou), mais /o/ s’écrit « o » (pot), « au » (vaux), « eau » (peau) selon les contextes.
En français, la difficulté est que, à un nombre restreint de phonèmes, environ 36, correspondent environ 130 graphèmes, c’est-à-dire de formes écrites du même son. Par exemple, le /k/ se transcrit de nombreuses façons : climat, accord, kilo, ticket, quand.
Ces difficultés posent des problèmes spécifiques d’apprentissage, notamment pour la production orthographique, et dans une moindre mesure, pour la lecture. La conséquence en est aussi que l’acquisition de la lecture ne suffit pas à assurer l’apprentissage de l’orthographe. Aux difficultés des correspondances entre ce qui est écrit et ce que l’on entend, s’ajoute le problème des lettres muettes (théâtre, hôpital) et des formes lexicales peu prévisibles (yacht, thym) !
Un facteur vient encore compliquer l’orthographe française : les marques du pluriel, du féminin et du masculin, et les accords verbaux qui, le plus souvent, ne s’entendent pas. Ainsi, les marques du pluriel des noms, des adjectifs et des verbes (les petits chiens blancs courent) et, dans une moindre mesure, celles du genre (notre amie est fâchée) ne s’entendent pas à l’oral (à quelques exceptions près associées au phénomène de liaison) : dans les exemples précédents, seul le déterminant permet de savoir que la première phrase est au pluriel ; dans la seconde, rien ne fournit d’indication quant au genre. Enfin, de nombreuses lettres finales (grand, bavard) ne sont sonorisées que lors du passage à un autre mot de la même famille (grande ou grandir, bavarde).