Comment Homo sapiens a perdu sa liberté

Homo domesticus. Une histoire profonde des premiers États, James C. Scott, La Découverte, 2019, 302 p., 23 €.

Loin de représenter la marche inéluctable du progrès, l’émergence des premières cités-États résulterait de l’instauration d’un régime de servitude fondé sur la monoculture céréalière. Telle est la thèse peu orthodoxe développée par l’anthropologue James Scott.

Vous croyez que la naissance de l’État a permis de mettre fin à la barbarie et à la famine qui régnait parmi les peuples nomades, en prodiguant aux citoyens le progrès, l’ordre public, la santé ou encore le temps libre ? Oubliez ça. L’anthropologue américain (et anarchiste) James Scott fait voler en éclat ce grand récit dans une enquête érudite de quelque 300 pages, dans laquelle il prend en compte les données archéologiques les plus récentes. Il propose une plongée passionnante dans l’histoire longue de l’espèce humaine et celle des premiers États.

Les premières cités-États apparaissent dans des agglomérations situées en Basse Mésopotamie, aux alentours de 6000 avant notre ère : elles se nomment Ur, Uruk, Eridu, Umma… Et nous les trouvons fascinantes. Il faut dire que nous sommes tous imprégnés, via les manuels scolaires et les découvertes archéologiques des siècles passés, du grand récit qui commencerait avec les royaumes agraires et la vie sédentaire, puis mènerait à la civilisation, mettant fin à la condition naturellement précaire et barbare des nomades. Or, ce récit est faux, nous dit J. Scott. C’est oublier que de nombreux peuples se sont opposés violemment à la sédentarisation, que les nomades ne souffraient pas de problèmes de santé ni de malnutrition contrairement aux sédentaires, et qu’ils bénéficiaient de beaucoup de temps libre, là où l’agriculture demande des efforts intenses pour des résultats jamais garantis d’avance.