« Comment j'ai découvert l'EMDR » Entretien avec Francine Shapiro

L’EMDR fait fureur : surmonter un traumatisme en bougeant les yeux ! 
Une technique facile, bénéfique à tous les patients, et à la portée de tous 
les thérapeutes ? Eh non… Rencontre avec la fondatrice de la thérapie.

 

E, M, D, R : Eye Movement Desensitization and Reprocessing, soit désensibilisation et reprogrammation par mouvements oculaires. Ses principes ont été découverts par hasard en 1987 par Francine Shapiro, alors doctorante en littérature, et depuis, cette thérapie ne cesse d’intriguer. Des études scientifiques rigoureuses ont montré sa surprenante efficacité pour les victimes d’état de stress post-traumatique* 1, et semble prometteuse face aux troubles du comportement alimentaire et aux phobies, notamment. Le plus troublant, c’est qu’on en est réduit au stade des conjectures pour expliquer ses mécanismes (Voir « L’EMDR se met-elle le doigt dans l’œil ? » dans le Cercle Psy n°6). Comment bouger les yeux de droite à gauche et de gauche à droite peut-il aider à surmonter son anxiété, voire un traumatisme ? Parce qu’il s’agirait d’un processus analogue à celui du sommeil paradoxal, qui contribuerait à transformer le mode de stockage de nos souvenirs d’un hémisphère cérébral à l’autre, à désamorcer leur charge émotionnelle pour en faire des épisodes plus facilement verbalisables, et dégagés de leur contexte initial. Bien… sauf que l’EMDR fonctionne aussi sans les yeux ! Alors ?

Alors, laissons parler Francine Shapiro !

Comment avez-vous découvert l’EMDR ?

L’expérience qui a conduit à cette découverte a en réalité commencé des années auparavant, quand j’avais développé un cancer. Je terminais un doctorat en littérature anglaise, mais la maladie a porté mon attention sur le domaine alors nouveau de la psycho-neuro-immunologie, soit l’effet du stress sur le système immunitaire. Même si les théories étaient excellentes et faisaient sens, il ne semblait guère y avoir de techniques ou de procédures pour aider à gérer la relation corps/esprit. Cela me fascinait, et je voulais voir ce qui était disponible afin de le transmettre au grand public. J’ai quitté New York pour suivre de nombreux stages et ateliers. Cela me conduisit à une thèse de psychologie.

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Un jour, alors que je me promenais, j’ai remarqué que certaines pensées désagréables que j’avais en tête venaient de disparaître tout à coup, puis ne revenaient qu’avec une charge émotionnelle plus supportable. Je ne comprenais pas ce qui venait de se passer, car de telles pensées ne se modifient généralement pas sans un effort de volonté délibéré. Or je n’avais rien fait. Au prix d’une grande attention, j’ai remarqué que quand ce genre de pensées me venait à l’esprit, mes yeux se mettaient à bouger très rapidement et d’une certaine manière, ce qui chassait les pensées de ma conscience. Quand je les faisais revenir, ils étaient moins perturbants. Si j’initiais volontairement le mouvement des yeux, le résultat était identique. Tout cela n’était qu’une extension de ce que je faisais depuis des années : utiliser mon esprit et mon corps comme un laboratoire. Ensuite, j’ai voulu m’assurer que le procédé fonctionnait chez autrui. J’ai réuni tous les gens que j’ai pu trouver, pour leur demander : « Est-ce que quelque chose vous soucie ? » Ils disaient tous que oui ! Je leur faisais suivre mon doigt du regard, et les problèmes leur paraissaient plus supportables. Sauf pour certains : j’ai alors développé des procédures basées sur certains mouvements oculaires pour augmenter les effets. Après avoir travaillé avec environ 70 ou 80 bénévoles, j’ai utilisé mes procédures avec un groupe de victimes de traumatismes dans un essai contrôlé randomisé, et j’ai publié mes résultats dans le Journal of Traumatic Stress en 1989. Ce fut la première publication concernant ce qui est maintenant l’EMDR.