Comment les religions s'adaptent à la modernité

Islam : des évolutions multiples et contradictoires

« En un temps qui semble celui du déclin des religions, l'islam manifeste une vitalité surprenante pour nos mentalités d'Occidentaux modernes. » Après cette sentence qui introduisait son livre Le Réveil de l'islam (Cerf, 1988), Roger du Pasquier dressait un panorama évocateur : vagues de conversions en Afrique et en Asie, établissement d'importantes communautés islamiques en Europe et en Amérique, révolution iranienne en 1979... « A des populations livrées à la pauvreté (...), c'est lui seul qui procure la capacité d'accepter l'adversité et empêche la vie de perdre tout son sens. »

Observé aujourd'hui depuis trente ans, le réveil islamique est un constat qu'il convient de tempérer : on assiste partout à une forte baisse de la pratique dans les classes moyennes, et le contrôle strict - voire l'instrumentalisation - du culte par les autorités reste une constante dans les pays islamiques. En revanche, l'idée d'une religion figée et opposée une fois pour toutes à une modernité qui ne pourrait se concevoir qu'en opposition au religieux est définitivement enterrée. L'appareil conceptuel de l'islam s'enrichit en permanence d'idées, les discute et les digère. Même les théoriciens radicaux du monde musulman, malgré leur rejet formel et superficiel de l'Occident, manifestent une contamination de leur pensée par les conceptions occidentales modernes.

L'islamisme militant des années 80 rêvait de renverser les Etats musulmans et de créer une vaste communauté des croyants. Cet islam politique-là a échoué, la révolution iranienne ne s'est pas exportée. Mais ses élites, persécutées dans leurs pays d'origine, ont trouvé refuge en Europe. Si ce courant préfère toujours la lutte armée à la prédication, l'itinéraire des militants a changé. On ne quitte plus le Moyen-Orient pour aller combattre l'infidèle soviétique dans l'idée de revenir ultérieurement combattre son propre régime perçu comme despotique. On passe d'abord par l'Europe, traversant une phase de ruptures - par rapport à sa famille, à son pays et à une vision traditionnelle de l'islam. Ces rejets sont motivés, suggère Olivier Roy, par un rejet tant de sa société d'origine (en faillite) que du modèle consumériste occidental, auquel le futur militant ne peut accéder faute de ressources. Le jihadiste d'aujourd'hui est le produit d'une expérience occidentale, réussie ou non - ceux qui ont accédé aux universités occidentales formeront les cadres du mouvement, les autres seront exécutants -, débouchant sur une réislamisation grossière.